lundi 29 avril 2013

Le torchon brûle entre Commissions Constituantes et le Comité mixte de coordination et de rédaction (CMCR)

Encore une fois, le rapport entre commissions constituantes et le CMCR connait des tensions après publication de l’avant-projet de la constitution qui devra être discuté avec les experts.

Des membres des dites commissions accusent le CMCR d’avoir violé le règlement intérieur en apportant des modifications quant au fond sur le texte proposé par les commissions.

Encore une fois, il parait que le rôle du CMCR n’est pas clair aux yeux des élus.

Commençons par le début :

Au départ, dans sa version initiale de 364 articles , le règlement intérieur de l’ANC prévoit dans son article 109 paragraphe 2 que chaque commission constituante procède à la rédaction des articles relatifs au thème dont elle est saisie en respectant les critères de forme constitutionnelle facilitant leur intégration dans le projet de la Constitution dans sa globalité.

Dans ce sens, l’article 121 précise que le comité mixte de rédaction procède à la coordination immédiate et continue des travaux des commissions constituantes de manière à assurer au projet final de la Constitution l’harmonie de sa teneur, de sa rédaction et l’unité de sa vision (ou sa philosophie).

Il est évident que répartir la rédaction du projet entre 6 commissions pourrait aboutir à avoir entre les mains un document de 6 textes différents, sur tous les plans : style, forme, sens, teneur, etc…

D’ailleurs, c’est le résultat obtenu pour le 1er avant-projet rendu public durant le mois d’Aout 2011.

Le règlement intérieur dans sa version initiale avait voulu apporter à ce risque le correctif nécessaire. Hélas !

Pour une raison qu’on ignore, ces 2 dispositions ont disparu. On s’est trouvé avec une disposition de l’article 104 qui précise que le CMCR procède à la coordination immédiate et continue des travaux des commissions constituantes.

Se trouvant démuni de toutes prérogatives l’autorisant à rendre le travail des différentes commissions harmonieux et techniquement acceptable, le CMCR n’avait pas autre choix que de procéder par des recommandations.

Or, des commissions constituantes ont parfois refusé en bloc les dites recommandations impliquant un risque sérieux sur l’harmonie du texte.

C’est dans ce cadre que s’est émergée l’idée d’amender le RI (article 104) afin de mieux préciser le rapport entre commissions et CMCR.

En réalité, l’amendement proposé tentait d’introduire 3 éléments :

- Permettre de prendre en considération les suggestions et propositions du débat national.

- Permettre de laisser place aux avis des experts.

- Autoriser un éclaircissement des rapports entre commissions et CMCR.

Sur ce dernier point, parmi les amendements proposés, 2 amendements refusaient carrément le droit du CMCR de toucher le fond des textes proposés par les commissions. Après réunion avec les présidents des groupes, ces 2 amendements ont été retirés et l’article 104 a été amendé dans son sa forme actuelle.

Il est dit que le CMCR se réunit pour fixer la version finale du projet sur la base des travaux des commissions et par référence aux avis des experts.

Cette version prête aujourd’hui à équivoque. Le CMCR peut-il toucher le fond ? Procéder à des suppressions et ajouts ?

Selon certains, le retrait des amendements interdisant au CMCR de toucher au fond des choix des commissions conjugué avec la formulation adoptée ne l’obligeant pas à se conformer aux textes des commissions, laisse entendre que le CMCR a main libre.

En revanche, d’autres estiment que le texte ne prête à aucune équivoque. Le CMCR ne peut pas toucher au fond du texte de la commission.

Conclusion : nous avons fait un amendement du RI pour rien.

Au lieu de simplifier, nous avons compliqué. Au lieu de clarifier, nous avons gardé l’ambigüité.

Encore plus alarmant et plus inquiétant, cette tension entre différentes structures de l’ANC. Les commissions constituantes ont été élues par l’ANC, le CMCR aussi. Et pourtant !!

Ca dépasse le bon sens

vendredi 26 avril 2013

Avant-projet de la Constitution : le bien, le compliqué et le Dangereux

Bien que nous sommes encore à un stade d’avant-projet, les critiques portant sur le document remis aux « experts » ne se sont pas faites attendre et elles ne l’ont pas ménagé.
Il est évident que le projet sera lacunaire quelque part même si tous les experts du monde s’y mettent car chacun procède par une approche subjective : « si je n’y trouve pas mon idée, mon projet…c’est un mauvais projet ».
Preuve que les idées des uns et des autres font preuve d’une étroitesse d’esprit alarmante, les « «cris d’alarme » se sont arrêtés et se sont concentrés autour de quelques dispositions (articles 1, 2, 136, 138…) laissant de coté le plus alarmant et le plus critique.
Que l’on soit d’accord : ce projet n’est pas mauvais, mais il n’est pas parfait…il assure sur certains aspects, il inquiète sur d’autres…
Le Bien 
Pris dans sa globalité et abstraitement de la teneur de certaines de ses dispositions, l’avant-projet présente une approche intéressante.
Personnellement, je dirais que ce n’est pas une Constitution, mais plutôt un « dispositif constitutionnel contre le retour à la dictature et au despotisme ».
Ainsi, le concept s’articule sur des idées clés qui sont les suivantes :
1- Un dispositif de « principes fondamentaux » (malheureusement on a préféré principes généraux) et un arsenal de droits et libertés garantissant un maximum de droits fondamentaux.
2- Une conception du pouvoir délocalisée sur un double plan vertical et horizontale. D’abord, une répartition (même si c’est inégale) des taches au sein d’un exécutif bicéphale. Ensuite, Un contrôle à double sens entre exécutif et législatif (parfois très compliqué). En outre, des instances constitutionnelles qui touchent des secteurs sensibles (élections, médias et droits de l’homme) et enfin, un pouvoir local qui devrait permettre aux régions un rôle prépondérant dans l’auto gestion.
3- Une Cour Constitutionnelle garante de la constitutionnalité des lois et arbitre des conflits de compétences entre tous ces acteurs.
Théoriquement, chacun est sous contrôle de l’autre. Tout le monde est sous contrôle de la Constitution (La Cour Constitutionnelle).
Excellent ! mais…
Le compliqué
Dans cette quête de mettre tout le monde sous contrôle, on a compliqué les procédures, multiplié les hypothèses, diversifié les délais… un casse-tête.
Compliqué aussi, la conception des normes juridiques choisies : lois ordinaires et organiques ; régime des conventions internationales ; décrets du chef du gouvernement et « arrêtés républicains » !!! on verra les étoiles !
Compliquée aussi, cette corrélation entre préambule et le reste des articles de la Constitution.
Compliqué encore le régime de la révision de la Constitution qui pourrait être interprété un jour comme impliquant une hiérarchie au sein même des dispositions constitutionnelles.
Le Dangereux
Dangereux, la délocalisation du pouvoir législatif entre parlement, pouvoir exécutif et électeurs avec l’élargissement du domaine du référendum.
Plus dangereux, l’interdiction absolue de dissoudre les composantes du pouvoir local. Aucun mécanisme d’en venir à bout !!!
Très dangereux, le mécanisme choisi pour la mise en place de la Cour Constitutionnelle.
Extrêmement dangereux, l’absence des dispositions transitoires.
Pour tes ces points techniques, je n’ai pas hésité à alerter, attirer l’attention, démontrer l’importance d’y remédier…
Pour tous ces points et tant d’autres, je garde encore l’espoir que les esprits se calmeront et que le « technique » prend le dessus un instant sur le « politique » afin de passer du « dispositif » à une vraie « Constitution ».
Rien n’est encore perdu…nous avons encore le temps d’y remédier.
Il suffit tout simplement que les uns et les autres sachent qu’une Constitution n’est pas un « manifeste » ou une simple « déclaration de volonté ».

























dimanche 14 avril 2013

La Motion de censure contre S.Badi : Les hypothèses et les enjeux

Mardi 16 Avril 2013, L’Assemblée Nationale Constituante (ANC) exercera pour la première fois dans l’histoire du droit parlementaire et constitutionnel tunisien la procédure du contrôle communément connue sous « la motion de censure ». En droit parlementaire, elle est vue comme une « défiance » (du législatif) à l’égard d’un membre du gouvernement (exécutif).

Une première dans l’histoire juridique mais aussi politique de la Tunisie.

Le Cadre légal : encore des lacunes

L’article 19 de la loi fondamentale relative à l’organisation provisoire des pouvoirs publics (OPPP) et l’article 118 du Règlement intérieur (RI) de l’ANC forment le cadre légal dans lequel s’exerce cette action.

D’abord est-ce une motion de censure ?

Le 1er paragraphe de l’article 19 OPPP cite l’action de motion de censure à l’égard d’un membre du gouvernement. Le 2ème paragraphe, en revanche, parle de retrait de confiance. Quant au 3ème paragraphe, il dissocie clairement entre la motion de censure à l’égard du gouvernement et la demande de retrait de confiance à l’égard de l’un de ses membres.

Quant à l’article 118 RI, son dernier paragraphe précise que le retrait de confiance à l’égard d’un membre du gouvernement suit la même procédure de la motion de censure à l’égard du gouvernement.

Ainsi, volet qualification, c’est une demande de retrait de confiance à l’égard d’un membre du gouvernement plutôt qu’une motion de censure (au sens classique du terme). Leur seul point commun s’est que la procédure de la dernière s’applique à la 1ère.

Quelle procédure ?

L’article 19 OPPP n’évoque que les conditions : une demande motivée présentée au président de l’ANC par un 1/3 des élus et qui doit être adoptée par la majorité absolue.

L’article 118 affine davantage ces conditions en précisant dans son 2ème paragraphe que la demande motivée doit être signée par un minimum du 1/3 des élus, présentée au président de l’ANC et transmise au Bureau qui doit établir un rapport à propos de la motion dans un délai d’une semaine.

Cette disposition apporte au moins 2 précisions : d’abord, elle exige la signature des auteurs de la plainte. Ensuite, la motivation se réfère in fine au 1er paragraphe qui stipule que l’Assemblée peut voter une motion de censure à l’égard du gouvernement si elle pense qu’il a violé son programme annoncé.

L’article 118 est mieux rédigé que l’art 19 car il se justifie par le choix du régime adopté par l’OPPP : un régime d’assemblée. En effet, il est communément admis que « quand la légitimité du Gouvernement repose sur la confiance du parlement, le Parlement peut exprimer son manque de confiance ou sa défiance envers le Gouvernement et le contraindre ainsi à démissionner. »[1]

Le 3ème paragraphe de l’article 118 stipule que le Président de l’ANC convoque une plénière dans un délai de 15 jours de la date de dépôt de la demande pour la discuter et en statuer. Il en informe le président de la république.

Mais quelle procédure pour la plénière ? La procédure d’une plénière pour un projet de lois n’est pas la même pour une plénière des questions orales ! Non plus pour une plénière de vote de confiance !!

Les textes sont muets.

Au vu de ce mutisme, ce sont les instances de l’ANC qui devront inventer la procédure adéquate. Théoriquement, c’est la Conférence des Présidents qui devra s’en occuper (Article 39 tiret 4) mais il semble que le Bureau et les présidents des groupes qui vont en décider.

Une 1ère question qui parait sans équivoque est celle du vote : il sera public, un vote électronique (art 96).

Mais avant d’arriver là, plusieurs questions devront être résolues :

D’abord, que devrons nous faire du rapport établit par le bureau cité par le 2ème paragraphe de l’article 118 ? Devrons-nous le distribuer ? Le publier ? ou les 2 ?

Ensuite, quel ordre de parole à donner en plénière ? L’opposition source de la demande ? La ministre ? …

Enfin, quel temps de parole ?

Il faut quand même remarquer que la séance plénière pourrait être à huis clos conformément aux dispositions de l’article 78 du RI. On Verra !

Les Hypothèses du vote :

- Un vote positif atteignant les 109 voix implique de facto la démission du ministre. Elle est illico presto démissionnaire et le chef du gouvernement devra présenter à l’ANC un(e) nouveau (nouvelle) candidat(e) dans un délai de 15 jours.

- Un vote négatif impliquerait une immunité du ministre durant 3 mois.

Les conséquences du vote :

Procéduralement,

Si le vote est positif, le Président de l’ANC en informe le Président de la République (article 118 RI) mais devra aussi en informer le Chef du gouvernement pour respecter la procédure prévue au paragraphe 5 de l’article 19 OPPP : présenter un nouveau candidat dans 15 jours.

Le poste de ministre de la femme sera vacant à partir même de la validation du vote. Étant donné qu’aucune formalité n’est prévue, le membre du gouvernement quittera l’hémicycle sans portefeuille ministériel.

Si le vote est négatif, le président de l’ANC sera tenu de procéder au même devoir d’information, mais le/ la ministre quittera le palais en limousine.

Politiquement,

Dans les coulisses de l’ANC, personne ne s’aventure à donner un pronostic. Logiquement la majorité absolue parait difficile à atteindre. Des élus pensent que réunir 30 élus de plus que les signataires est une vaine quête surtout que des élus qui ont signé la motion ont fait passer le message qu’ils ne voteront pas pour.

En revanche, plusieurs élus estiment que Siham Badi en sortira affaiblie. Même si le vote lui sera favorable, elle sera marquée par être la première à avoir subie une demande pareille et c’est à la limite une « humiliation » politique.

Ceci sera aussi tributaire de la teneur du débat général, d’une part, et de la réaction de la ministre, d’autre part. Des accusations, des contre accusations, de la nervosité…tous ces faits vont marquer le cours des choses.

Données Comparatives[2] :

« Dans 33/88 pays la majorité absolue de la chambre est nécessaire. Dans 8 pays, l’adoption d’une motion requiert la majorité qualifiée des 3/5 ou des 2/3. Les autres pays exigent au moins la majorité simple. La majorité absolue est nécessaire dans certains pays.

30 des 63 parlements qui autorisent le vote de défiance à l’égard du Gouvernement ont dit ne jamais avoir utilisé cette procédure. le taux de succès de ces votes n’est pas très élevé. Entre 1990 et 2000, il y aurait eu 10 cas d’adoption de motions de défiance dans sept parlements, tandis que 26 parlements ont rejeté ces motions lorsqu’elles ont été présentées.

Dans 35 /88, le Parlement ne peut voter que contre l’ensemble du Gouvernement.. Par contre, plusieurs parlements admettent la responsabilité collective et individuelle et autorisent les deux types de motions de défiance. 8 parlements expliquent qu’une motion de défiance ne peut être présentée qu’à l’égard de ministres individuels. »

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[1] Les outils du contrôle parlementaire (Etude comparative portant sur 88 parlements nationaux) ; Rédigé et édité par Hironori Yamamoto ; UIP ; Genève.

[2] - idem.

mercredi 10 avril 2013

Visite d’institutions judiciaires en France : le choc!!

J’ai accompagné les 8 et 9 Avril 2013, certains membres de la commission constituante chargée du chapitre pouvoir judiciaire dans une visite à certaines institutions judiciaires françaises (Conseil Supérieur de la magistrature, Conseil d’Etat, Cour de Cassation et Conseil Constitutionnel).

Des visites déprimantes : Le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation

Une Visite mémorable : le Conseil Constitutionnel.

Les magistrats !!! Toujours cet orgueil…ce sentiment de suprématie… « Casser l’autre » fait partie de la méthodologie…

J’étais dégouté à écouter le Président du conseil d’Etat faire son auto éloge…

Encore plus dégouté à écouter le président de la Cour de Cassation refuser d’admettre la qualité du « juge » aux magistrats du parquet ou se plaindre d’être mis à gauche du Valéry Giscard D’Estaing pour des raisons protocolaires !!!

Choqué même quand j’ai appris qu’il a commencé sa carrière comme substitut du procureur !

Quand même, ils étaient presque affirmatifs et unanimes : Indépendance de la magistrature, Oui. Autonomie : Non, faut faire attention.

A bon entendeur

La crème de la visite, était celle effectuée au Conseil Constitutionnel et où on était reçu par son président Jean-Louis Debré.

Quelle modestie !! Quelle éloquence !! Quel humour !!

Un président visionnaire…impressionnant.

On ne faisait qu’écouter…et ADMIRER.

Pour lui, aucune autorité n’est au dessus de la loi…

La contestation de la loi doit d’arrêter à un moment donné.

La Cour Constitutionnelle n’est pas faite pour les gens qui veulent faire carrière.

Ce ne sont pas les juristes qui ont cette aptitude exclusive de comprendre la Constitution.

Une Cour Constitutionnelle ne doit pas juger au-delà d’un certain nombre d’affaires…

Un Juge, doit être indépendant, avant tout, dans son comportement….

Certains élus, après l’avoir écouté, se sont peut être dit : « eh merde !!! on aurait dû écouté Debré avant d’avoir écrit et cru écrire un texte de génie ».

Et pourtant, j’avais tant alerté…