mercredi 21 octobre 2015

Le limogeage du ministre de la justice : le malaise d’un dysfonctionnement du système

J’ai eu l’occasion de connaitre le Professeur Med Salah ben Aissa à l’occasion de son audition par la commission des consensus de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) et à l’occasion de son expertise du projet du Règlement intérieur de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP).
Durant la 1ère occasion, il a été le plus convaincant de tous les experts auditionné. Durant la seconde occasion, j’ai découvert qu’il trouve des difficultés à maîtriser le droit parlementaire. Et c’est important de le souligner car ça va expliquer beaucoup de ce qui va suivre.
Peu importe, le Monsieur force le respect et personnellement je lui réserve beaucoup d’estime. Un vrai professeur.
Comme plusieurs, j’ai regretté son limogeage par le chef du gouvernement même si je reste convaincu que son passage à la tête du ministère de la justice est venu au mauvais moment. Je le voyais plutôt ministre de l’enseignement supérieur. Bref.
Aujourd’hui, j’ai suivi avec intérêt son passage sur midi show à Radio Mosaïque FM. Ses explications m’ont un peu secoué et c’est dommage.
L’ex ministre disait qu’il avait adressé une lettre au Président de l’ARP lui indiquant que même si les amendements apportés au projet sont conformes à la décision de la IPCCPL, l’ARP  n’a pas répondu à tous les griefs de l’instance !!!
Plus loin dans son interview, il disait qu’il respectait les institutions et en 1er lieu l’IPCCPL.
C’est à la limite contradictoire. Ce n’est pas à un ministre de faire observer à l’ARP qu’elle a répondu ou non aux griefs de l’IPCCPL.
Le projet de loi du CSM allait être soumis obligatoirement à cette instance et c’est à elle, et elle seule, de se prononcer sur la constitutionnalité et sur le respect de sa décision par l’ARP.
Il explique aussi que contredit par le chef du gouvernement, il avait refusé d’aller assister à la plénière. Que ce refus n’entre pas dans les pratiques gouvernementales et qu’il faut les changer.
Un membre du gouvernement peut certes contester une injonction d’un chef du gouvernement ou d’un 1er ministre. Mais ce ne sont pas toutes les injonctions qu’on peut contester et ce ne sont pas à tous les ordres qu’on peut désobéir.
Assister à une plénière n’est pas un geste formel. C’est un acte caractéristique des relations entre l’exécutif et le législatif.
Et quand il s’agit d’une plénière pour voter une loi, le refus d’un membre du gouvernement d’ y aller est un acte grave justifiant même un retrait de confiance de la part du parlement. N’oublions pas que c’est cette Assemblé qui a accordé la confiance pour devenir membre du gouvernement.
Sur ce plan, donc, les analyses de Mr Ben Aissa ne tiennent pas.
Par contre, Mr Ben Aissa a évoqué une violation de l’article 62 de la Constitution et je pense que cette affaire a mis à nu un problème de taille.
L’article 62 dispose que les projets de lois (émanant du Chef d’Etat ou du Chef du Gouvernement) sont prioritaires (par rapport aux propositions de lois, émanant des élus).
Cet article ne dit pas que ces mêmes projets de lois prioritaires sont non susceptibles d’amendements. Car le droit d’amendement des élus est un droit constitutionnel sacré reconnu comme tel par la majorité absolue des systèmes démocratiques.
Ce qui a fait défaut, c’est la procédure devant être suivie pour amender des projets de lois émanant de l’exécutif.
En droit comparé, de tels amendements sont négociés avec le gouvernement. En cas de désaccord, les procédures sont multiples et variées. Ainsi, si le Parlement veut forcer l’amendement et que le gouvernement s’y oppose, ce dernier peut déclencher un vote « confiance » du son projet. Le rejet du projet implique une démission illico presto du gouvernement.
En Tunisie, et sous l’ANC, les commissions parlementaires ont procédé à apporter des amendements sans accord préalable du gouvernement. C’est devenu presque une coutume. L’ARP a continué avec la même coutume en l’absence d’une procédure particulière.
Ce qu’il faut noter à ce niveau, c’est que (à ma connaissance) aucun gouvernement sous l’ère ANC ni jusque-là avec l’ARP a émis des réserves sur cette pratique.
Encore, les ministres qui se sont succédé au poste du ministre chargé des relations avec l’Assemblée (que ce soit ANC ou ARP) n’ont accompli leurs missions comme il se doit. En effet, en droit comparé, ce poste occupe une importance particulière et présente une pierre angulaire dans le fonctionnement du système parlementaire par le biais de ses mécanismes de coordination qu’il offre.
Un tel mécanisme faisant défaut, le parlement risque de se trouver en face d’un ensemble de ministres et départements et non en face d’un Gouvernement. Ainsi, un chef du gouvernement risque de voir son rôle cantonné en un domaine protocolaire se limitant à signer des décrets et présider un conseil des ministres tout en restant déconnecté de la gestion courante de l’appareil du l’exécutif.
Le cas du Mr Ben Aissa met à nu ces lacunes et il doit nous alerter sur un danger plus grave : la dénaturation du système mis en place par la nouvelle constitution en exécutant des procédures mal adaptées et suivant des mécanismes non conformes pouvant altérer profondément l’équilibre des institutions que toute la Constitution Tunisienne de 2014 a voulu mettre en place.



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