mercredi 26 octobre 2016

A propos de l’immunité parlementaire : une protection qui ne l'est plus

Je ne vais pas faire un cours de droit sur les immunités parlementaires. La question est excessivement expliquée dans les articles 68 et 69 de la Constitution et des articles 28 au 33 du règlement intérieur de l’ARP.
Faites une recherche sur « immunité des parlementaires » vous allez trouver des développements presque identiques à travers tous les systèmes qui reconnaissent cette immunité. Eh bien oui, certains systèmes ne reconnaissent aucune immunité.
Mais il faut s’attarder sur une question très importante relative au fondement de l’immunité des parlementaires. Pourquoi a-t-on pensé utile de l’avoir développé ?
C’est simple : L’immunité a un seul fondement : La Protection des élus du peuple contre toute sorte de pression ou menace altérant l’accomplissement de son devoir de représenter le peuple.
Il se trouve que ce fondement n’pas été toujours respecté et que certains élus ont profité de cette immunité pour jouir d’une impunité. Mais les cas sont isolés, et la justice a souvent triomphé.
Un cas m’a toujours interpellé, celui du célèbre homme d’Etat italien : Giulio Andreotti. Ce dirigeant historique de la Démocratie chrétienne et acteur important de l'histoire politique italienne du 20ème siècle. Successivement membre de l'Assemblée constituante, de la Chambre des députés et du Sénat, il a été toujours montré de doigt comme ayant des liens avec la mafia gagnant le surnom de Divo Giulio. Le top, Andreotti a été nommé sénateur à vie en 1991.
Sénateur à vie= immunité à vie ? 
Le 13 avril 1993, les sénateurs le privent de cette immunité et il passa devant le tribunal de Palerme. Mais 11 ans, après, Andreotti sera acquittée des accusations en 2004 par la Cour de Cassation italienne .
Qui a protégé Andreotti ici ? Son immunité ou la justice ?
Les deux. La première en lui évitant d’être malmené devant les tribunaux et juges pour des faits futiles. La 2ème en l’innocentant confirmant que l’exercice de l’immunité n’était pas un exercice abusif.
Imaginant que cet élu s’est vu levée son immunité ; il aurait passé 11 ans devant la justice (ce qui l’aurait empêché d’accomplir sa mission) pour se voir par la suite innocenté par la justice.
L’exercice de l’immunité en droit parlementaire tunisien était malheureux et dramatique, parfois.
Sous l’ère de la Chambre des députés, la levée d’immunité était automatique. Le traitement était tellement automatisé que les dispositions constitutionnelles et du règlement intérieur n’avaient plus aucun sens.
A chaque fois qu’une requête émane du ministre de la justice, la commission des immunités se réunit dans la semaine pour recommander la levée et la plénière vote sans équivoque dans le sens de la commission.
Du simple accident de la circulation à la pension alimentaire, les causes de la levée ne méritaient pas réellement une telle procédure très lourde. Des élus ont voulu se présenter volontairement et résoudre le conflit à l’amiable se sont vus objectés un « Niet » injustifié.
Pourtant, d’autres élus ayant commis des actes méritant des poursuites pénales imposant la levée d’immunité n’ont fait jamais l’objet de requête de levée d’immunité émanant du ministre de la justice.
Pire encore, l’exercice a atteint un seuil dramatique avec l’affaire du député opposant Khemaies Chammari, alors élu du parti MDS. Alors qu’il a tant exhorté les membres de la commission de l’immunité pour refuser la demande, il s’est présenté devant la plénière encadré par la police à l’enceinte même de l’Assemblée. Il a presque « supplié » les élus de ne pas voter cette demande injuste de levée d’immunité. Hélas. Le vote a été sans appel, et il quitta l’Assemblée menottes à la main.
Avec l’Assemblée Nationale Constituante, les requêtes de levée d’immunité n’ont pas manqué aussi. Le Plus frappant, c’est que la majorité des plaintes qui ont fondé ces requêtes sont liées à des propos tenus par les élus durant les séances plénières ou les réunions des commissions.
Mais le traitement de ces demandes par la commission de l’immunité était sérieux et pour la première fois, une commission refuse des requêtes émanant du ministre de la justice.
L’Assemblée des Représentants du Peuple n’est pas loin de sa précédente quant au nombre des requêtes. On attendra le traitement par la commission et ensuite par la plénière.
Ce qui est important à souligner ici, c’est que quand l’Assemblée lève l’immunité, elle omet toujours de signaler que la levée d’immunité n’est valable que pour les actes liés à l’affaire en cause et qu’elle doit aussi la limiter dans le temps.
C’est du non-sens qu’on prive un élu de son immunité pour une période indéterminée déplaçant  le pouvoir d’appréciation du parlement au juge. C’est une violation manifeste de la Constitution.
C’est un non-sens aussi que pour un oui ou un non, on demande la levée d’immunité pour un élu alors que l’acte d’instruction pour laquelle on invoque cette levée d’immunité ne peut en aucun cas conduire à prendre des mesures coercitives à l’encontre de l’élu. Un minimum de devoir d’appréciation du juge est recommandé.
La levée d’immunité telle que exercée actuellement dénature son fondement et pourrait présenter une sérieuse menace contre les élus.
Pour finir, je serais curieux de connaitre le nombre de levée d’immunité judiciaire dont jouit les juges et l’immunité diplomatique dont jouit les diplomates pour les faire comparaitre avec le nombre de levée d’immunité parlementaire et conclure qui est la catégorie la plus vulnérable.


lundi 3 octobre 2016

3 questions avant la nouvelle session législative 2016-2017

L’expérience parlementaire démocratique tunisienne va avoir 6 ans. Elle a commencé au mois de novembre 2011 (avec l’Assemblée Nationale Constituante, ANC) et elle continue avec une Assemblée qui tire ses pouvoirs de la nouvelle Constitution, l’Assemblée des Représentants du Peuple, ARP.
6 ans et sans la moindre tentative sérieuse d’évaluer cette expérience.
6 ans et rien que des jugements de loin ; des appréciations d’humeur ; des évaluations politiques voir partisanes et une obstination à omettre et ignorer les acquis.
1ère question : y-a-t-il du positif dans cette expérience ?
Il y en a beaucoup. Les parlementaires tunisiens, novices en matière d’exercice démocratique parlementaire, que ce soit avec l’ANC ou l’ARP, ont pu dans un temps record s’initier aux techniques du droit parlementaire (démocratique) avec la maîtrise de la procédure et les manœuvres politiques et procédurales.
Ce que les parlementaires tunisiens ont pu dégager de réflexions  techniques à propos des mécanismes du droit parlementaire classique ne peut être qu’une richesse et une matière à réflexion pour enrichir ce droit et le faire évoluer.
Hélas, nos parlementaires ne sont pas conscients de cette œuvre.
2ème question : l’instabilité politique est-elle un signe pathologique ?
Non.
L’instabilité politique du cadre partisan (partis politiques) à l’échelle nationale n’a pas manqué d’avoir des effets directs sur la cartographie des formations parlementaires.
Mais pour que les Groupes parlementaires, comme des rouages indispensables au bon fonctionnement de la machine politico institutionnelle qui est le Parlement, soient stables et atteignent leurs vitesses de croisière, il faut que la relation triangulaire Partis-Groupes-Parlement soit clarifiée et recadrée.
Des parlements de longue tradition parlementaire et démocratique ont beaucoup peiné à voir des structures stables et efficaces. Ils ont vécu des décennies avec des groupes et le phénomène « groupite » (des groupes intermédiaires ou hybrides, issus des dispersions de plusieurs élus de part et d’autre, et échappant à tout contrôle).
Aujourd’hui, à la veille de la 3ème législature et avec la création du groupe « démocratique », l’ARP est avec 7 groupes regroupant presque 95% des élus. Pour une nouvelle démocratie et tant d’instabilité politique partisane, c’est une donne plutôt intéressante.
3ème question, enfin : existe-t-il un problème de discipline ?
Il existe un mal de vivre dû au manque de planification. La navigation à vue ne peut renforcer que la disparité et le « sauve qui peut ».
Un code de déontologie volontairement conçu et adopté par l’ensemble des élus serait une excellente voie pour éviter les conflits d’intérêt ; raisonner et rationaliser le Comportement au Parlement et atteindre un seuil de transparence avec l’interdiction ou la restriction de certaines activités et faire accepter une auto-déclaration de patrimoine, de revenus, de passif et d’intérêts.
Plutôt que chercher à sanctionner le manque d’assiduité et de discipline, faut-il avant tout chercher ses causes.