vendredi 24 août 2018

Groupes Parlementaires, Fronts parlementaires et malaise politico-parlementaire


La notion « Groupe parlementaire » a connu une nette évolution dans les démocraties parlementaires européennes pour en devenir un concept clé de la vie parlementaire.
En Tunisie, c’est sous l’avant dernier mandat législatif (2004-2009) que le règlement de la chambre des députés a consacré tout un chapitre aux groupes parlementaires.
Mais c’est avec l’ANC (Assemblée Nationale Constituante élue en 2011) que La Tunisie a connu ses premiers groupes parlementaires. Et rapidement, des groupes (une dizaine) se sont constitués mais qui ont presque disparu à la fin du mandat constituant puisqu’il n’en restait que 4.
On s’attendait à ce que l’expérience des groupes murisse mieux avec l’ARP (Assemblée des Représentants du Peuple) mais hélas, l’expérience bien que différente de celle de l’ANC, elle n’est pas moins amer et décevante.
Alors comprenons d’abord l’utilité des Groupes
Qu’est ce qui se passe à l’ARP ?
Pourquoi parle-t-on de front parlementaire?

Le groupe :

Il y a globalement 3 sortes de groupe parlementaire. Un groupe peut être lié intégralement à un parti politique. Il peut aussi réunir de députés appartenant à différents partis politiques. Enfin, le groupe peut réunir des députés ayant des affinités politiques ou idéologiques.
Ces 3 groupes on les trouve à l’ARP. Ainsi les groupes Nahdha, UPL et Nida (globalement) font partie de la 1ère catégorie. Les groupes : Front populaire, démocratique et Wala à la patrie réunissent des caractéristiques tantôt de la 2ème tantôt de la 3ème catégorie. Le Groupe Machrou un mélange de la 1ère et la 3ème catégorie. Le reste c’est de la 3ème catégorie.
L’élément clé pour décortiquer le groupe c’est ce rapport compliqué et complexe avec le parti politique.
Pourquoi ?
Parce que tout simplement, un élu, une fois élu, il n’est plus un représentant du parti mais du peuple. Sinon, il risque de transgresser plusieurs règles de droit constitutionnel et de droit parlementaire telles que le vote personnel, l’interdiction du mandat impératif et les caractéristiques universelles de la règle de droit (générale, abstraite et impersonnelle) si le vote du député devient un vote orienté vers des intérêts réduits.
Mais étant donné qu’on ne pouvait pas dissocier complètement le groupe du parti politique, on a essayé de réserver à chacun un domaine d’action bien déterminé.
Alors pour la « Politique » au sens classique du terme, elle se dessine, s’arrête et se planifie dans le cadre du parti politique. Un élu membre du parti a le droit d’y assister et prendre part à toutes les étapes.
Mais cet élu, une fois dans l’enceinte parlementaire, doit veiller à l’accomplissement de ses engagements partisans (du parti politique) dans le respect des règles élémentaires inhérentes au travail parlementaire mentionnées ci-dessus.
Donc, un parti politique fait la politique mais pas la manœuvre parlementaire. Un groupe parlementaire reste maitre de la manœuvre parlementaire mais ne fait pas la politique.
Certes c’est très complexe, mais c’est comme ça.

Alors que s’est-il passé à l’ARP ?

Simple : les élus ARP ont chambardé toute cette construction philosophique et pratique de la relation Groupe/Parti.
Certains partis se sont intervenus directement dans la manœuvre parlementaire. Certains élus se sont vus imposés un vote et d’autres se sont rétractés à des engagements pris au sein des instances parlementaires.
En revanche, des groupes se sont hissés au rôle des partis politiques pour faire de la politique générale et dépasser leur mission principale.
Règlement intérieur lacunaire et défaillant aidant, l’expérience des groupes parlementaires a été dénaturée et a encore une fois relativement échoué d’où l’émergence ces derniers temps d’une nouvelle notion ou concept « Le Front Parlementaire ».

Pourquoi parle-t-on de front parlementaire ?

Faisons d’abord une simple comparaison de la cartographie politique au sein de l’ARP au début du mandat et celle existant à la veille de la dernière session.
Au début nous avions 5 groupes : Nida (86 élus) ; Nahdha (69) ; UPL (16) ; Front (15) et le groupe social-démocrate crée en dernière minute (7 élus). Un total de 193 élus membres de groupes et 24 « hors circuit ».
Maintenant nous avons 8 groupes : Nahdha (68) ; Nida (55) ; Machrou (19 , mais il peut regresser à 15 ou14) ; Jabha (15) ; G démocratique (12) ; Wala à la patrie (12) ; UPL (12) et watania (10). Un total de 203 élus membres de groupes et 14 hors circuit.
A première vue, l’expérience ARP est plus positive que celle de l’ANC puisque le nombre de groupe a progressé et non pas le contraire. En plus, seulement 2 groupes ont disparu (Afek s’est constitué tardivement mais il a disparu).
On doit aussi remarquer que seul le groupe du Front populaire est resté intact. Le groupe Nahdha a perdu un seul élu. Le groupe Nida a perdu 31 élus. Enorme.
Ce sont effectivement ces 31 élus qui ont formé ou participé à la formation d’autres groupes parlementaires.
4 groupes sur 8 ont gardé une certaine homogénéité dans leurs positions, votes, amendements etc…, à savoir Nahdha, Front populaire, UPL et groupe démocratique (un nombre = 107 élus). (à retenir).
Les 4 autres groupes (96 élus) se sont vus toujours acteurs d’actions disparates et mal coordonnées. (à retenir aussi).
Les choses se sont encore chambardées quand Nida Tounes a annoncé ne plus soutenir le Chef du Gouvernement.
Du coup, la coalition parlementaire pro gouvernementale (Nida, Nahdha, Afek, UPL) n’est plus ce qu’elle était.
Avec le flou qui marquait les relations Nida Tounes avec son groupe parlementaire, la cartographe politique est devenue un vrai bordel. Impossible de prévoir un vote en avance. Impossible de s’assurer une adoption d’un projet de loi technique soit-il.
Le Parlement Tunisien est devenu un théâtre de l’aléatoire et du jeu de hasard.
Pour sortir de ce merdier, certains ont appelé à former un front populaire.
Une première tentative annoncée a même échoué avant qu’elle soit concrétisée.
Une deuxième vient d’être annoncée avec insistance mais elle aura moins de chance d’aboutir.
Pourquoi ?
D’abord mathématiquement parlant, elle est vouée à l’échec.
3 grands groupes ne feront pas partie de ce front : Nahdha, Front populaire et groupe démocratique (95 élus).
Les groupes restants ne peuvent en aucun cas dépasser les 108 élus. Ils auront besoin de 109 pour faire passer des lois organiques.
Ensuite, et c’est le plus important.
Ces élus n’ont pas encore résolu leurs problèmes au sein de leurs groupes respectifs. Ils n’ont pas, non plus, résolu leurs problèmes au sein de leurs partis respectifs. S’ils pensent que le « front parlementaire » va résoudre tous ces problèmes c’est qu’ils adoptent une démarche excessivement hypothétique.
Preuve qui n’a pas tardé à venir : des élus ont déjà annoncé un autre front !!!
Enfin, et plus curieux, l’annonce du front n’a pas manqué de véhiculer un message contradictoire. D’une part, plusieurs élus annoncent que ce front aura pour but de contrecarrer le groupe Nahdha. D’autre part, ils ne manquent pas de souligner que ce front aidera le gouvernement à faire passer ses projets de lois. Donc, il sera un front avec le gouvernement et non contre lui. Mais le groupe Nahdha est aujourd’hui avec le gouvernement. Donc le front annoncé sera dans le même camp que le Groupe Nahdha, situation totalement contradictoire avec la cause annoncée de sa formation.
Réellement, toutes ces actions est un cirque de manœuvres politiques en vue des élections octobre/Novembre 2019.
Nos politiciens n’ont pas encore compris que la politique en Tunisie de nos jours ressemble à une course de chevaux. Si tu pars très tôt et très vite tu risques très bien d’être battu trop loin de la ligne d’arrivée.
Retrouvons nous au mois d’Avril 2019 (inchallah). Cette actuelle cartographie risque d’être intégralement chambardée.