mardi 4 septembre 2018

Corruption en matière d’hydrocarbures : Synopsie d’une mauvaise gestion d’un secteur mystérieux.


Cette semaine du 27/8/2018 au 02/09/2018 a été marquée par cette mesure prise par le chef du gouvernement Tunisien, Youssef Chahed, de limoger 2 membres du gouvernement chargés des énergies et certains hauts responsables de l’Etat liés au même secteur pour cause de suspicion de corruption.
Plusieurs personnalités ou partis politiques se sont montrés très critiques vis-à-vis de ces mesures. Ils estimaient que ce sont des mesures de propagande !!!
Plus comble et plus ironique, une bonne majorité en parle sans réellement connaître les dessous et l’historique de la question. Encore pire, le débat s’est cantonné en « avec » ou « contre » Le Chef du Gouvernement.
On a raté une bonne occasion de remettre le débat sur l’article  13 de la constitution et son historique ; comprendre les dispositions du code des hydrocarbures ; saisir comment entre article constitutionnel et disposition législative, la philosophie du législateur a été dénaturée ; savoir pourquoi le gouvernement subit une telle attaque et, enfin, avoir une idée de l’importance de nos richesses naturelles.

Teneur et portée de l’article 13 de la Constitution:

L’article 13 de la constitution dans sa version finale n’existait pas en aucune version des drafts de la nouvelle Constitution Tunisienne. Il n’existait même pas avant 2 ou 3 jours de l’adoption finale de la Constitution.
C’est l’élu Mohamed Chafik Zarguin, élu non appartenant à aucun groupe, qui tenait à une disposition constitutionnelle traitant des richesses naturelles et du contrôle parlementaire là-dessus. Sa proposition se fondait sur de sérieuses présomptions de corruption et de mauvaise gestion touchant le secteur des énergies et spécialement des hydrocarbures.
Le draft de l’article 13 a été rédigé dans le hall des pas perdu de l’assemblé.
Il faut savoir que derrière Med Chafik Zarguin y avait une autre vingtaine d’élus qui tenaient à une telle disposition. A cette époque, on voulait s’assurer de l’adoption de la nouvelle Constitution par une majorité des 2/3 et fallait donc « satisfaire » cette bonne vingtaine d’élus.
La proposition a été finalement acceptée et différée devant la commission des consensus qui s’est finalement accordée sur la rédaction finale de l’article 13.
Cet article doit être décortiqué :
Dans son 1er paragraphe, il annonce le principe : les richesses naturelles sont la propriété du Peuple Tunisien.
Le 2ème paragraphe consacre le contrôle parlementaire sur les « Contrats d’investissement » ou contrats d’Etat.
Au sein de la commission des consensus, on avait le choix entre « Contrats d’investissement » ou « contrats d’Etat ». La commission a finalement opté pour « Contrats d’investissement » au sens du droit international privé par référence à la jurisprudence d’arbitrage du commerce international (investissement).

La portée du contrôle parlementaire

Le 2ème paragraphe de l’art 13 de la Constitution est clair. Pour les contrats d’investissement, ils doivent être différés devant la commission parlementaire compétente non pas pour adoption ou approbation mais pour permettre au Parlement d’en être informé et mis en position d’exercer son pouvoir de contrôle.
Pour ces contrats qui devraient être approuvés par une convention, celle-ci doit être approuvée par l’ARP. C’est en application de l’article 65, paragraphe 1er tiret 9  de la Constitution. En réalité, on visait les contrats d’investissement international. La philosophie du Constituant était simple : Le gouvernement ne peut pas engager l’Etat tunisien sans accord du parlement en matière d’investissement international.
Malheureusement, cette philosophie a été dénaturée par le code des hydrocarbures.

Codes des hydrocarbures et dénaturation de l’article 13

Le code des hydrocarbures, ou même le code des investissements n’ont pas repris la philosophie du constituant.
La raison est simple : les membres de la commission des consensus (et ses travaux préparatoires) ont été complètement ignorés par les autorités chargés de l’action normative post constitution.
Une autre raison : Les lobbys du secteur ont bien pesé pour ne pas adopter cette philosophie.
L’affaire de la licence exploitation objet de la polémique en est une illustration.

Situation irrégulière ou corrompue ?

Le privilège « Menzel » est soumis à une convention signée le 20/1/1979 pour une durée de 50 ans. Donc, échéance prévue en 2029.
Le code des hydrocarbures datant du 17/8/1999 précisait dans l’article 48 que les contrats d’exploitations ont une durée de 30 ans. En principe, ce contrat devrait avoir pour échéance l’an 2009.
Les articles 2, 3 et 4 précisaient que le code ne s’applique pas rétroactivement à l’exception des entreprises qui en formulent la demande d’en bénéficier.
Effectivement, Le bénéficiaire de cette exploitation a opté pour le code des hydrocarbures. Du coup, la durée de licence finissait en 2009 au lieu de 2029.
Depuis 2009, personne n’a bougé le doigt. Comptez les gouvernements qui se sont succédés avant révolution ou après.
Il est inéluctable que la situation depuis 2009 est entachée d’irrégularités.
Alors pourquoi se montrant-on hostile à la mise à nue de cette situation ?

Pourquoi attaque-t-on le Chef du Gouvernement ?

Limoger 2 membres du gouvernement, un PDG et de hauts responsables du secteur était un acte très spectaculaire.
L’action du Chef du gouvernement coïncidait avec une polémique entamée par ses adversaires et visant à le dissuader de se présenter aux élections 2019.
Donc, au lieu de porter le débat sur la bonne gouvernance du secteur des énergies, le débat s’est orienté vers la mise en cause du bien-fondé des actes du chef du gouvernement.
En réalité, la polémique cache beaucoup de non-dit.
1-               La corruption ou la mauvaise gouvernance a ses défendeurs.
2-               Le lobby qui règne sur le secteur des énergies est fort et omniprésent dans les rouages de l’Etat pouvant même discréditer toute action à son encontre.
3-               Le Lobby des hydrocarbures est un potentiel financier des campagnes électorales pour 2019.
4-               « L’appartenance » sectorielle ou familiale des membres du gouvernement compte plus que leur appartenance partisane ce qui présente un vrai paradoxe dans une démocratie théoriquement parlementaire.
5-               Enfin, et c’est le plus important, dans toute crise aigüe de l’Etat, le parlement est souvent mis à l’écart.

Un contrôle parlementaire voué à l’échec ?

Les vacances parlementaires n’auraient pas dû empêcher l’ARP de se saisir du dossier et d’ouvrir une enquête voir même une mission d’information pour revoir la bonne gouvernance du secteur des énergies.
Hélas ! rien ne s’est fait.
Pire encore, des députés se sont mis des uns contre des autres non pas par analyse du fond de la question, mais plutôt par position quant au Chef du Gouvernement.
Plusieurs secteurs sont connus du tout le monde comme étant des secteurs présentant un manque manifeste de bonne gouvernance, de transparence et de traçabilité. Ces secteurs sont : les énergies, l’environnement, les terres domaniales et les banques.
Aucune action parlementaire s’exerçant dans le cadre du contrôle n’a affecté ces secteurs mentionnés.
Encore une fois, ce sont les médias qui se sont emparés de la crise pour orienter le débat la concernant vers une orientation ABSURDE et voulue.

Aucun commentaire: