vendredi 14 décembre 2018

Quel algorithme peut-il expliquer un rejet d’un projet de loi par le parlement ?


Encore une fois, et dans l’espace de 3 jours, l’ARP étonne et aucun algorithme politique ou procédurale peut expliquer ce qui s’est passé durant la plénière du 13 décembre 2018.
Le Contexte :
L’ARP avait pour ordre de jour l’examen d’un projet de loi très contesté relatif à la révision de la retraite mais considéré important par le gouvernement s’inscrivant dans le cadre de réformes engagées par lui.
La Logique :
La logique parlementaire et le bon sens procédural imposait qu’on n’enrôle un projet de loi dans un ordre de jour que si la majorité requise à son adoption est assurée d’autant plus que le président de la commission chargée de son étude est présidée par un élu faisant partie de la coalition gouvernementale.
En cas de doute, on l’enrôle dans un ordre différé pour lui assurer la majorité requise.
L’ordre de jour fixé laissait entendre que tout était prêt

Synopsie :
Dès le début de la séance, on sentait que les choses allaient de manière aléatoire étant donné que le quorum au départ était de 78 élus sachant que le projet de loi étant ordinaire avait besoin de 73 voix.
Le débat général n’était pas houleux contrairement à celui ayant marqué le projet de loi des finances 2019, et d’ailleurs, un élu de Nida Tounes pensait que ce projet allait être adopté malgré les contestations
« Ramzi Khamiss (Nidaa Tounes): Malgré tout ce qui a été dit et malgré qu'il soit fortement contesté, je sais bien que ce PDL va être adopté par l'assemblée. » (Source : AlBawsala).
Le ministre lui-même avait fini ses réponses par des remerciements à cette ARP
Et le vote commença article par article.
Plusieurs articles se sont fait votés à la limite maximale de la majorité requise comme vous allez le voir :
Vote sur le titre du Projet de loi n° 56/2018.Pour 83 ; Abstenu 03 ; contre 06
Vote sur l'article 1 du projet de loi n° 56/2018 dans sa version initiale:
Pour 73 ; Abstenus 07 ; Contre 12
Vote sur l'article 2 du projet de loi n° 56/2018 dans sa version initiale:
Pour 73 ; Abstenus 07 ; Contre 13
Vote sur l'article 3 du projet de loi n° 56/2018 amendé :
Pour 77 ; Abstenus 05 ; Contre 12
Vote sur l'article 4 du projet de loi n° 56/2018 amendé :
Pour 79 ; Abstenus 07 ; Contre 10
Vote sur l'article 5 du projet de loi n° 56/2018 amendé :
Pour 79 ; Abstenus 07 ; Contre 10
Vote sur l'article 6 du projet de loi n° 56/2018 dans sa version initiale:
Pour 78 ; Abstenus 06 ; Contre 11
(Source : AL BAWSALA)
Contre toute attente, et malgré la faible majorité qui a été acquise au projet de loi en question, personne n’a retardé le vote final car des traditions « de procédure parlementaire » imposaient parfois ce retard pour s’assurer du vote. Aucun élu de la majorité ni la commission en charge ou même le ministre n’a vu le coup venir.
Et il est venu :
Projet de loi N°56/2018 est refusé en sa totalité faute de quorum.
71 pour ; 08 Abstenus ; 16 contre
(Source Al Bawsala)
Vote et Annonce :
A l’affichage des résultats indiquant son rejet, la présidente de la séance s’est certainement rappelée de ce qu’a engendré l’annonce du Mohamed Naceur des résultats de vote d’un article de la loi de finances ayant entrainé le KO de la plénière, elle a hésité avant l’annonce après avoir demandé s’il y a des votes à main levée.
Dans une tentative de sauver la face, la majorité a fait insinuer qu’il y ait 2 élus qui ont voté à main levée.
D’abord, la Présidente a tant rappelé qui votait à main levée sans avoir constatée une demande dans ce sens.
Ensuite, et si elle l’aurait fait, elle aurait violé le règlement intérieur dans son article 127 qui interdisait le cumul de 2 techniques de vote à moins que sa permission ait été annoncée au début de la plénière chose qui n’a pas été faite.

S’en est suivie une contestation de part et d’autres avec une opposition qui exigeait la levée de la plénière.
Le sort est scellé et le projet de loi est définitivement rejeté. Il faut attendre 3 mois pour pouvoir le présenter à nouveau

Le ministre ne comprenait rien
Et encore une fois, des élus de la majorité essayent de faire assumer à la présidente de la séance la responsabilité de cet échec.
Dans un système parlementaire un tel échec ne doit pas passer sans conséquences politiques mais j’en doute fort que ça sera le cas car aucun gouvernement post révolution n’a tiré les conclusions d’un rejet parlementaire d’un projet de loi.
Avis personnel en suivant le débat de la plénière et faisant attention aux « à-côtés » de la séance, j’ai l’impression que certains groupes parlementaires faisant partie de la coalition gouvernementale ont laissé la voie libre à un éventuel rejet du projet de loi.
Le groupe parlementaire pro gouvernemental « Coalition Nationale » manquant d’expérience en matière de manœuvres parlementaire n’a pas vu venir le coup et s’est fait avoir.
Conclusion : Si un projet de loi GOUVERNEMENTAL ordinaire nécessitant 73 voix n’ait pas pu passer, que dire des lois organiques !!??.
Ce gouvernement et cette coalition parlementaire le soutenant paraissent aujourd’hui plus vulnérable que jamais.


mercredi 12 décembre 2018

Vote de loi de Finances 2019 : D’un parlement stérile à un Parlement corrompu !?


En lisant l’excellent rapport de la Commission de finances sur le projet de loi relatif à la loi organique du budget (LOB), je me suis dit « Cette ARP peut nous surprendre cette année en discutant le projet de loi de finances 2019 (PLF 2019) ».
Et effectivement, l’ARP nous a surpris. La plénière du 10 décembre 2018 restera dans les annales du travail parlementaire Tunisien.
Si le parlement Tunisien (via l’ANC) a tenu une magnifique et historique plénière le 26 janvier 2014 lors de l’adoption de la nouvelle Constitution, il a aussi tenu (via l’ARP) une historique plénière le 10 décembre 2018.
Depuis un bon moment j’ai été très sceptique et même dubitatif sur la capacité de cette ARP à discuter convenablement budget et lois de finances (Mon article).
J’ai été aussi (très) inquiet sur l’absence (voulue) de la disposition constitutionnelle disposant que « Le député Tunisien est représentant de tout le peuple Tunisien ». (voir mon article).
Mon inquiétude s’est vérifiée de manière éclatante et dramatique lors de cette plénière du 10/12/2018 dernière plénière où cette ARP discute et vote un PLF.
Voyons d’abord comment cette ARP a encore raté son examen du budget 2019 pour expliquer ce qui est réellement passe lors de cette plénière.

Un examen stérile du Budget

Je peux mettre des centaines de synonymes pour qualifier l’examen du budget par cette ARP : futile, improductif, inefficace, infructueux, inutile, maigre, pauvre, endormant, ennuyeux pour finir par être explosif.
Pour l’examen du budget, L’ARP a choisi un retour à un mécanisme classique et stérile de la Chambre des députés consistant à des auditions massives des membres du gouvernement, non pas pour leur poser des questions sur leurs budgets proposés (chiffres et projets en rapport) mais pour un débat d’ordre général voir même d’ordre régional.
Pour la loi de finance, c’est encore pire. L’examen s’est fait uniquement par la commission de finances avec une présence moyenne ne dépassant pas 8 élus (sur 22). La présence des experts et consultants s’est faite sélective impliquant le risque de voir des idées corporatistes ou émanant de lobbys.
Bien entendu, ce n’est pas la première fois que des articles et des amendements véhiculaient des intérêts restreints qui vont à l’encontre des caractères élémentaires de la loi.
J’avais alerté depuis un bon moment que les lobbys, profitant du « désir » vicieux de certains élus de vouloir présenter des amendements, ont multiplié les méthodes et techniques pour faire passer des dispositions servant leurs intérêts via les députés ou même la société civile.
La plénière du 10/12/2018 a mis à nu ces pratiques et de manière dramatique.

Un Vote entaché d’escroquerie !

 La technique d’examen et de discussion du budget choisie par l’ARP ne peut que permettre un vote vicié, illégal voir même inconstitutionnel.
La ruse est simple : profitant de l’échéance constitutionnelle pour l’adoption de la loi de finances (le 10/12), faut soumettre les députés sous « contrainte de temps » et sous « pression d’adopter » dans les délais.
Entamer un examen de la loi de finance le 6/12 sachant que la majorité absolue des élus ne comprenne presque rien à cette loi (trop technique et compliquée) ne peut que permettre un vote orienté voire même viciant la « bonne volonté » de plusieurs élus.
Hallucinant ce qui va suivre.
D’abord, un 1er point d’ordre très remarquable soulevé par le président du groupe populaire exigeant que les textes sur lesquels les élus du peuple vont voter, doivent être préalablement écris et mis à leurs dispositions avant le vote.
Dans le même ordre d’idée, un élu soulève un point d’ordre corroborant le 1er point d’ordre même avec une teneur différente à savoir que le texte lu et voté est le texte qui devra être publié au JORT.
Ensuite, le ministre des finances propose un nouvel article différent d’un « accord préalable » dans le cadre des « consensus ». La procédure veut que cette proposition soit immédiatement votée sans débat ni discussion. Chose faite.
Et c’est à ce moment que les choses vont dégénérer.
Le vote effectué et les résultats affichés, certains élus s’étant rendu compte qu’ils se sont fait dupés commencèrent à protester.
Le président de la séance avait un choix à faire : soit ne pas annoncer les résultats du vote et ouvrir le débat, soit procéder à l’annonce et c’est irrévocable et irrémédiable sauf par une procédure un peu forcée via l’article 123 du règlement intérieur.


Mohamed Naceur a donné le coup de grâce en annonçant les résultats du vote.
Et à partir de ce moment ce n’est plus un parlement.
Mohamed Naceur a-t-il commis une erreur ? Non. Il a mis à nu le double langage des uns et des autres. Il l’a fait volontairement ou involontairement porte peu.
Pensez-vous que des élus ont voté un texte qu’ils croyaient différent de ce qu’il est ?
Ma conviction personnelle est que les élus savaient exactement sur quoi voter. Mais au moment où ils ont constaté que ce vote aller être un moyen de « propagande » électorale et populiste, ils se sont montrés sous « vêtement » d’élus arnaqués.
Je pense même que c’est la 1ère fois où des élus du groupe Nahdha se sont « révoltés » contre la discipline du groupe en contestant a posteriori la consigne du vote donnée.
Pour preuve, la 1ère contestation est venue d’un élu nahdha invoquant l’ingérence des lobbys dans ce vote contesté.
 L’opposition invoque même l’escroquerie
Et une autre élue du groupe Nahdha corrobore la théorie d’escroquerie et exige une enquête
En réalité, certains élus se sont rendus compte de la gaffe commise et souhaitaient que le Président de la séance n’aurait pas annoncé les résultats car cette annonce a scellé leurs positions.
L’aveu vient même d’un élu renommé du groupe Nahdha
D’où cette volonté de faire assumer à Mohamed Naceur le KO et la dégringolade engendrée par ce vote
La « Mafia » est-elle en voie de contrôler le parlement ? l’accusation de l’opposition est sans équivoque
Plusieurs ont omis un fait très important.
Quand le président de la commission des finances demande au ministre des finances de présenter (oralement) un exposé de motifs pour l’article proposé, et c’est un minimum demandé, le ministre refuse, tout simplement.
C'est ce fait qui donne le coup de grâce à cette disposition et laisse planer toutes les suspicions à propos des violations invoquées.
Au moment de la rédaction de cet article, on annonce un pourvoi en inconstitutionnalité en cours de rédaction contre des dispositions de cette LF2019 (annonce).
Ce recours a tous les atouts d’aboutir.
Un vote entaché d’escroquerie, de falsification et de servir des intérêts restreints est un vote inexistant car il enfreint toutes les normes légales et constitutionnelles.