mercredi 30 octobre 2019

Chef du gouvernement et membres du gouvernement : Une relation lacunaire à la base.


Sous l’ère de la nouvelle Constitution Tunisienne du 26 Janvier 2014, deux gouvernements (présidés par Habib Essid ensuite par Youssef Chahed) se sont vus accordés la confiance de L’Assemblée des Représentants du Peuple.
Durant presque 5 ans, plusieurs « incidents » liés à des démissions ou des limogeages des ministres ont coulé beaucoup d’encre. La dernière en date, hier même, le limogeage du ministre de la défense, du ministre des affaires étrangères et d’un secrétaire d’Etat.
Historiquement, je cite d’autres « faits » dont notamment le limogeage du ministre de la Justice Mohamed Salah Ben Aïssa, celui Rafik Chelly, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur chargé des Affaires sécuritaires, celui de Abid Briki, de la ministre des Finances Lamia Zribi, et le ministre de l'Éducation, Néji Jalloul. Sans oublier les limogeages du ministre de l'Intérieur Lotfi Brahem.
Il ne faut pas oublier, non plus, le refus de confiance par l’ARP au gouvernement Habib Essid le conduisant à une démission de facto et son remplacement par le Gouvernement Youssef Chahed.
Pour tous ces cas cités, le texte constitutionnel et le bon usage démocratique ont été, à la limite, bafoués.
Un Chef du Gouvernement est-il vraiment Le Chef du gouvernement ?
Le 1er paragraphe de l’article 89 de la Constitution dispose explicitement que les membres du gouvernement sont « choisis » par le Chef du Gouvernement.
Le 4ème paragraphe dispose quant à lui que le gouvernement présente à l’ARP un résumé de son programme afin d’obtenir la confiance.
A priori, l’art 89 ne laisse aucun doute que c’est le Chef du gouvernement qui choisit son équipe et que le vote de confiance du parlement se fonde sur le programme du gouvernement et non sur la qualité de ses membres.
Il faut signaler en outre, que pour les postes des ministres de la défense et celui des affaires étrangères, le choix du Chef du Gouvernement se fait en marges des « consultations » avec le Président de la République. Ce dernier ne choisit pas ces 2 ministres et par conséquent ne peut pas les révoquer. Seul le chef du gouvernement est habilité à le faire par le texte constitutionnel (Article 92 tiret 2).
« Jusqu’ici tout va bien ». Le Chef du Gouvernement est le Chef hiérarchique des membres du gouvernement « dans l’exécution du programme présenté à l’ARP pour l’obtention de sa confiance » (C’est moi qui le souligne).
Mais les textes qui vont suivre vont semer le trouble dans ce schéma clair et net.
La dérive textuelle
D’abord, le dernier paragraphe de l’article 97 permet à l’ARP de retirer la confiance à un membre du gouvernement !
Ce texte altère donc ce « pouvoir » hiérarchique du Chef du Gouvernement sur son équipe. L’ARP peut s’y mêler et en profondeur structurelle même.
Ensuite, le 1er paragraphe de l’article 98 dispose que la démission du Chef du gouvernement équivaut à la démission du gouvernement !.
Indirectement, cette disposition contredit le sens de l’article 89 qui implique que la confiance votée par l’ARP est accordée à tout le gouvernement en fonction de son programme. L’art 98 fait de la « personnalité » du Chef du Gouvernement la clé de l’existence même du gouvernement.
Et c’est le Règlement intérieur de l’ARP qui enfonce encore le clou par ses articles 143 et 144 disposant que pour les remaniements ministériels, le vote se fait à titre individuel pour chaque nouveau membre proposé ou même pour un ancien membre appelé à d’autres fonctions !
Donc, le vote de l’article 89 est complètement dénaturé. Ce n’est plus un vote pour le remaniement ou non, mais plutôt un vote portant sur des « personnes » identifiées.
La pratique très malheureuse
Le Chef du Gouvernement ne choisit pas son équipe :
Au contraire, parfois elle lui est imposée par la « majorité » parlementaire et même par des groupes de pressions hors de l’enceinte parlementaire.
Et puisque cette « majorité » est disparate, non structurée, non partisane et liée à des « structures occultes », une bonne partie du gouvernement est composé d’éléments qui sont là pour servir des intérêts plutôt que de servir « un programme » objet du vote de confiance.
Ainsi, le vote de confiance accordé au Gouvernement entier (art 89) ou le vote de confiance accordé à un membre (art 144 R.I) est considéré par plusieurs membres du gouvernement comme une confiance personnelle plutôt qu’une confiance accordée au Chef du gouvernement.
Plusieurs ministres ont refusé explicitement d’obtempérer aux « consignes » du Chef du Gouvernement et ont réagi très mal à leur limogeage tels que Med Salah Ben Aissa, Neji Jelloul ou Abid Briki.
D’autres ont carrément refusé ce pouvoir hiérarchique au Chef du Gouvernement tel que Abdelkrim Zbidi, ministre de la défense, qui a déclaré que c’est Le Président de la République qui son « patron » !
L’histoire retiendra que la plus grande dérive constitutionnelle en cette matière reste de loin la mise à l’écart du Chef du Gouvernement Habib Essid, décidée au bon vouloir du défunt BCE, Président de la République, à l’époque.
L’Obligation d’un retour à la philosophie de l’Article 89 de la Constitution
Ce retour implique plusieurs actions qui devront être faites et respectées.
D’abord, il faut que les membres du gouvernement signent un engagement pour servir le programme du gouvernement.
C’est un document qui doit être joint obligatoirement au « résumé » du programme du gouvernement déposé à l’occasion du vote de la confiance.
La faillite à cet engagement impliquera possibilité pour le Chef du Gouvernement de limoger « légitimement » un membre comme la possibilité pour le parlement de retirer la confiance à un membre ou à tout le gouvernement.
Ensuite, si le Chef du Gouvernement peut limoger un de ses ministres, il doit expliquer les raisons de son acte au Parlement, et via lui, au peuple car la confiance accordée au sens de l’art 89 est une confiance à un GOUVERNEMENT en fonction d’un PROGRAMME qu’il a proposé. Un limogeage ne doit pas être au bon gré de sa majesté.
Enfin, membres du gouvernement et tout autre responsable de l’Etat, doivent comprendre qu’ils sont là pour servir l’intérêt général du pays. Au lieu de passer leur temps à côtoyer les plateaux des médias, faut être sur le terrain pour réparer les dégâts.


vendredi 25 octobre 2019

Immunité Parlementaire : Revendications populistes ou légitimes?


Depuis quelque temps, des voix s’élèvent revendiquant la « suppression » de l’immunité parlementaire.
Ces voix oublient que cette immunité est établie par les articles 68 et 69 de la Constitution. Pour la supprimer, il faut donc passer par une révision de la Constitution ce qui n’est pas facile à faire de nos jours.
En outre, l’immunité parlementaire est une garantie accordée par presque toutes les législations et considérée comme une condition inhérente à l’exercice par le député de sa mission au sein du parlement.
Cependant, il faut avouer que le dernier mandat parlementaire 2014-2019 a laissé paraître un exercice à la limite non constitutionnel des procédures de levée d’immunité.
Pour pallier aux insuffisances constatées, il serait urgent d’amender le règlement intérieur au niveau des articles 28-33 dans le sens suivant :
D’abord fixer un délai ne dépassant pas les 15 j pour la commission compétente pour statuer sur la demande de levée d’immunité et transmettre son rapport à la plénière.
Ensuite, si la commission ne statue pas dans les délais, le bureau se réunit dans les 48h et se saisit d’office pour statuer et transmettre sa décision à la plénière qui doit se tenir dans un délai ne dépassant pas 7 jours.
Ainsi, les délais seront fixés à 21 jours pour avoir une décision définitive dur la demande de levée d’immunité.
Enfin, si la plénière ne se tient pas dans les délais, ou elle ne statue pas, la demande de levée d’immunité est considérée comme acceptée.
En attendant une révision de la Constitution, un amendement du règlement intérieur reste la voie la plus rapide et la plus efficace pour « corriger » momentanément ce régime de l’immunité qui a été altéré et dénaturé par une malheureuse pratique.