La pratique
« démocratique » parlementaire Tunisienne, depuis l’ANC (Assemblée
Nationale Constituante), ne cesse de nous étonner, de nous ébahir, de nous
décevoir ou même de nous intriguer.
Je l’ai dit et je le
répète : Les élus Tunisiens, novices en pratique parlementaires
démocratiques, ne cessent de nous montrer une grande habilité à
« manœuvrer » et « manipuler » les procédures.
La plénière Tenue par l’ARP
(Assemblée des Représentants du Peuple) le 12/09/2017 est un exemple parmi
d’autres ; mais c’est une plénière qui marquera l’histoire du droit
parlementaire Tunisien. Et ce à plusieurs titres :
L’interprétation
de l’Article 57 paragraphe 3 de Constitution :
L’ARP a tenu le 11/09/2017 une
plénière pour le vote de confiance aux nouveaux membres du Gouvernement Youssef
Chahed. Une plénière tenue dans le cadre d’une session extraordinaire (vu
qu’elle est encore en vacances : art 57 parag 1 Constitution ; art 6
parag 1 Règlement Intérieur) demandée par le Chef du Gouvernement (art 57 parag
31 Constitution ; art 6 parag 3 Règlement Intérieur).
Cette même ARP tient une autre
plénière le 12/11/2017 dans le cadre d’une seconde session extraordinaire sur
demande de plus de 1/3 des élus (art 57 parag 3 Constitution ; art 6 parag
3 Règlement Intérieur).
En l’espace de 2 jours,
l’ARP a tenu deux sessions extraordinaires.
Conclusion : l’ARP a scellé
l’interprétation du 3ème paragraphe des articles 57 (Constitution)
et 6 (R.I) quant à la possibilité de tenir plus d’une session extraordinaire
contrairement à une interprétation « littéraire » du dit paragraphe
disant que le texte ne permettait que la tenue d’une seule session.
L’ordre
du Jour de la session extraordinaire :
On s’est déjà posé la
question : Qui fixe l’ordre du Jour de la Session extraordinaire ?
La pratique de cette semaine
laisse entendre que le Bureau de l’ARP s’est rallié à la thèse que L’ordre du
Jour soit fixé par la partie demanderesse de la session extraordinaire. Le
Bureau ne fait que constater la teneur et fixer la procédure appropriée.
Mais le débat qui a eu lieu au
sein de la plénière d’aujourd’hui laisse apparaitre une vision incohérente des
élus quant à cette question. Certains ont fait référence à la décision du
bureau (insinuant ainsi que c’est le Bureau qui fixe l’ordre du jour
conformément au R.I), d’autres, en revanche, n’y prêtaient aucune importance.
En revanche, la question des
délais de la session, refait surface et soulève une lacune constitutionnelle
relayée par le R.I. Combien peut durer une session extraordinaire ?
Une session extraordinaire à
ordre du jour fixe ne peut qu’avoir une durée fixe et déterminée. La
Constitution ne l’a pas expressément mentionné, le R.I aurait dû combler le
vide. Il ne l’a pas fait. Il devra le faire.
Quorum
et modification de l’Ordre du Jour
Un intéressant débat entre élus a
eu lieu aujourd’hui au sein de l’ARP. Certains ont demandé l’application du R.I
d’autres ont sollicité une solution « raisonnable ».
En effet, la plénière d’aujourd’hui
était consacrée à l’élection de 2 membres pour combler les vacances à l’ISIE. Pour
qu’un candidat soit élu, il faut qu’il soit « approuvé » par 2/3 des
membres ARP, soit 145 voix favorables.
Or, au début de la séance, moins
de 140 élus étaient présents. Certains élus estimaient que le « quorum »
n’était pas atteint d’où nécessité de reporter la plénière. D’autres élus, en
revanche, ont demandé d’appliquer les dispositions du R.I, tout simplement.
Une certitude : Le quorum
était largement atteint.
La question est clairement fixée
par l’art 109 du R.I qui fixe le quorum en 1er appel à la majorité
absolue (109 élus) ; à défaut, la plénière se tiendra 30 minutes après avec
un minimum du 1/3 des élus (soit 73).
La confusion entre « quorum »
et « majorité requise » doit être définitivement exclue.
Après débat, le président de la
séance a décidé de reporter le vote et de continuer avec l’ordre du jour
préétabli, le lendemain.
Ceci soulève 2 autres questions
qui ont été débattues aujourd’hui.
D’abord,
amendement de l’ordre du jour
Le constat était unanime : Impossible
d’élire un membre ISIE avec 145 voix favorables pour 2 raisons : 1)
absence de consensus sur un candidat potentiel. 2) Faible présence des élus
pour assurer une majorité « en forcing » (moins de 140 élus).
Continuer une telle plénière dans
l’état des choses était certes une perte de temps, pour tout le monde.
Le Président de l’Assemblée a
tant essayé de préciser la problématique en demandant aux présidents des blocs
de donner leurs avis sur la question. En vain. Chacun a donné un avis différent
des autres. Certains ont demandé le suivi du l’ordre du jour (donc procéder au
vote), d’autres ont demandé le report et d’autres se sont abstenus de donner
leurs avis.
La question était simple : soit
continuer la plénière avec son ordre du jour initial et procéder au vote,
peu importe le résultat, soit reporter la plénière, ce qui
représente une modification de l’ordre du jour nécessitant un vote de la
plénière avec comme majorité requise, majorité des présents (donc, fallait faire
un vote de présence puis un vote pour ou contre le report de la plénière).
La présidence de la séance, se
trouvant « lâchée » par les blocs et par ses conseillers, a pris
les devants et assumant ses responsabilités, décidant de reporter la plénière. Décision
logique et attendue car un vote aurait donné une majorité des présents pour le
report de la plénière.
Mais
ce qui est un peu intriguant, cette information/donnée consistant à ce que le 3ème
vote du candidat était le dernier possible, information relayée par des élus et
par la présidence de la séance.
Selon cette donnée, si le vote du
candidat serait infructueuse, le vote est caduque et qu’il faut procéder à
ouvrir de nouveau les candidatures à ce poste, opération qui demandera des
mois.
J’ai vérifié du côté du texte de
l’ISIE ou celui du projet de loi relatif aux dispositions communes et j’ai rien
trouvé de la sorte. Les élections des membres des instances se font à tours
successifs jusqu’à obtention de majorité requise.
Enfin, de ma part, je finis cette note par deux
constats:
-
De un, l’ARP aurait quand
même rectifié le tir en élisant un membre de l’ISIE actuelle en tant que
président. La question était simple : modifier l’ordre du jour en
ajournant l’élection des 2 autres membres tout en maintenant le choix d’un
président.
De un, c’est
possible car les dispositions de la loi actuelle, datant de 2012, concernait
une ISIE en phase de constitution. Nous sommes en face d’une situation inédite, celle d’une démission d’un
président. L’interprétation de la loi était possible et les arguments
juridiques n’y manquaient pas.
Le « non
choix » d’un président de l’ISIE pourrait être une cause de non tenue des
élections législatives partielles en circonscription d’Allemagne.
-
De deux, il est clair
aujourd’hui, qu’il n’y a plus une majorité parlementaire. Une majorité
présidentielle est en phase de se construire. Si c’est le cas, le système
devient un système « bâtard ». Si de fait, le système constitutionnel
pourrait être déformé, il n’y aucune honte à penser de le réviser. Une dénaturation
de fait est très dangereuse. La constitution de 1959 en a subi le même sort. Faut
mieux prévenir que guérir.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire