mardi 21 janvier 2020

Un Parlement lourdement handicapé


Le soir du 20 Janvier 2020, le Président de la République a choisi Elyes Fakhfekh comme le candidat le plus apte à former un gouvernement.
Le Président a agi dans le cadre du 3ème paragraphe de l’art 89 de la Constitution.

Un échec parlementaire en 2 phases

L’ARP (Assemblée des Représentants du Peuple) a échoué d’abord à voter la confiance pour le 1er Gouvernement formé et proposé par Habib Jemli, candidat du parti islamiste Nahdha.
L’initiative s’est alors déplacée du Palais de Bardo au palais de Carthage (palais présidentiel) et on s’attendait à ce que les parlementaires forcent la main au Président.

La technique présidentielle pour contrer le Parlement

Par une approche anodine et inédite, le Président de la République a adressé des messages écrits (38 au total) aux différents groupes, coalitions et partis politiques représentés à l’ARP leur demandant de lui fournir par écrit dans un délai réduit, le/les noms des Candidats pour former un gouvernement.
Pris de court par cette démarche, les formations parlementaires ont présenté des candidatures disparates et non coordonnées laissant au Président un large champ de manœuvre.

Le choix du Président qui tue

Sentant l’ARP faible et un peu en agonie, le Président n’a pas manqué de profiter de l’occasion pour opter pour une personnalité faisant partie d’un parti politique non représenté au Parlement et seulement citée explicitement par un seul parti, Tahia Tounes, qui n’a que 14 sièges.
C’est important de le souligner car ce choix a écarté toutes les propositions des autres 5 groupes réunissant 166 sièges (Nahdha, Démocratique, Qalb Tounes, Karama, Islah. Le Destouri Horr n’a proposé personne).

Une ARP dos au mur

C’est dans le communiqué de la Présidence qu’il faut lire l’intention du Président de la République.
Ainsi, il est écrit noir sur blanc au 2ème paragraphe que le candidat choisi a un mois non renouvelable pour former son gouvernement et ce à compter du Mardi 21 Janvier 2020.

Il ne manquait à ce communiqué que de rappeler à l’ARP que s’il échoue, encore une fois, à voter la confiance du gouvernement, Le Président fera usage des pouvoirs que lui accorde le 4ème paragraphe de l’art 89 de la Constitution consistant à dissoudre le Parlement.

Le scénario : ou ça passe ou ça casse

Il n’y en a pas 2 : Ou on accorde la Confiance au gouvernement ou Non, et dans ce cas c’est la dissolution.

Qui a intérêt dans la dissolution ?

Si dissolution sera décidée, des élections anticipées devront avoir lieu entre 45 et 90 jours.
Dans ce cadre il faut se poser la question : qui des partis présents a intérêt à voir l’ARP dissoute et qui de ces partis est capable de tenir de telles élections ?
Pour tenir des élections, les partis politiques doivent avoir des structures stables et un état financier solide. Or, hormis la Nahdha, les autres partis politiques souffrent structurellement et financièrement.
En outre, et constatant cette faiblesse, le Parti Nahdha peut jouer la carte des élections anticipées afin de se repositionner dans l’échiquier parlementaire et reconquérir ses sièges perdus.

Et si le Gouvernement Fakhfekh, voté, se maintiendra longtemps ?

Plusieurs observateurs pensent que cette ARP va accorder la confiance à ce gouvernement pour une durée de 6 à 8 mois.
Eh ben non, ils sont loin du compte.
C’est simple : pour faire « déloger » le gouvernement Fakhfekh, soit il démissionne soit il subit une motion de censure.
Pour la motion de censure, le 2ème paragraphe de l’art 97 de la Constitution exige une majorité absolue ayant proposé un Candidat « successeur ».
Quand on sait que les 134 députés qui ont fait tomber le gouvernement Jemli étaient incapables de s’accorder sur une autre personnalité, on voit très mal comment 109 peuvent réussir là où plus nombreux ont échoué.
Et le futur éventuel Chef du Gouvernement est au courant de cette donne et peut en profiter largement.
Il sait très bien que s’il neutralise la rue, personne n’est en mesure de le faire partir.

mardi 14 janvier 2020

Lecture dans le « Message » du Président de la République


Le 14 janvier à 00 :10mn, la page officielle de la Présidence de la République publie un message « écrit » adressé par le Président de la République aux partis politiques, coalitions et groupes parlementaires dans le cadre de l’article 89 de la Constitution.
Bien entendu, la forme et la teneur linguistique du message a attiré l’attention et soulevé plusieurs commentaires dans les réseaux sociaux.
Le terme « Kiteb » (Message écrit) nous a fait rappeler le messager du film « Arrissala ». On dirait que Le Président de la République est parti en conquérant.
Mais ceci n’empêche que le Président a entamé une certaine « coutume » constitutionnelle puisque aucun texte ou une autre ancienne pratique n’expliquait la procédure à suivre dans le cadre du 4ème paragraphe de l’art 89 de la Constitution.
Et ce n’est pas seulement une certaine « coutume constitutionnelle » mais aussi une certaine « manœuvre politique ».
Voyons de près.
La teneur du 4ème paragraphe de l’art 89 de la Constitution

Le paragraphe en question met en relief 2 questions : Les délais et la procédure.
Les Délais
Il est d’abord imparti au Président de la République d’entamer les « pourparlers » dans un délai de 10 jours.
Le Chef du Gouvernement choisi après ces pourparlers aura un mois pour former son gouvernement et le proposer au vote de confiance du parlement.
La procédure
Le texte parle de « consultations » que fera le Président de la République avec les partis, coalitions et groupes parlementaires pour « charger » la « personnalité » la plus apte à former un gouvernement.
A ces 2 question, le Président de la République a apporté sa vision des choses.
La Teneur du Message du Président de la République
Lisant de près le message, on a l’impression que le Président a tenté de s’immuniser contre tous les pièges possibles.

Le piège des délais
Le message du Président a tenu bon à préciser l’heure précise du dépôt de la lettre du Président de l’ARP indiquant le vote négatif infligé au gouvernement du Habib Jamli : 20 minutes après minuit du 11 janvier 2020. Le vote s’est tenu en plénière du 10 janvier 2020.
En réalité, on se posait la question : à partir de quand on commence à compter les 10 jours impartis au Président ?: de la date du vote (10 janvier) ou de la signification du vote par l’ARP (le 11 janvier) ?
Dans le 1er cas, on commence à compter du 11 janvier (et les 10 jours finiront le 20 janvier). Dans le second, on compte à partir du 12 pour que l’échéance tombe le 21 janvier.
Le Président considère qu’il a été saisi le 11 janvier et il a agi en moins de 48 heures après sa saisine officielle. Le calcul s’est fait en minute près : 00 :20 (le 11/1/2020) et 00 :10 le 14 Janvier.
En plus, il donne aux destinataires de son message un délai ne dépassant pas jeudi 16 janvier pour donner des réponses.
Donc, le Président s’est laissé une marge de 5 jours pour entamer une autre approche des consultations afin que le 21 janvier 2020 les tunisiens sauront le nouveau Chef du Gouvernement proposé pour former son gouvernement.
Tout de même, 48 heures pour réagir à la lettre du Parlement laissent supposer que soit on a trop discuté le contenu du « message » soit on ne s’est pas préparé aux éventualités du vote négatif.
Les pièges de la procédure
Le communiqué de la Présidence ne précise pas si le « message » du Président a été communiqué à tous les partis politiques, présents ou non au parlement ou seulement au cadre parlementaire !?
Mais le Président de la République a bien précise sa démarche quant au sens des « consultations » évoquées par le texte constitutionnel : demander aux parties concernées (à les définir) de proposer par voie écrite, des noms avec des justifications et des critères pour fonder leurs choix.
Donc, le Président de la République renvoie la balle dans le camp du « reste » et leur impose la forme « écrite ». au lieu d’être piégé, le Président contre-attaque et les prend au dépourvu car personne ne s’attendait à de telle procédure.
Le Président de la République s’est immunisé contre une éventuelle attaque le rendant responsable des éventuels échecs des négociations par l’exigence d’une forme écrite.
Donc, le Président a opté, en 1er lieu, à ne pas choisir. C’est aux « autres » de choisir et ils devront « assumer » leurs choix et le cours des négociations.
Toute manœuvre dilatoire est donc paralysée. Le Président pousse tout le monde à « jouer carte sur table ».
Depuis 2012, aucun jeu politique en Tunisie n’a été mené de cette manière.


samedi 11 janvier 2020

Après le vote de Confiance au gouvernement : nouvelles coalitions ou nouvelles guerres ?


Le 10 janvier 2020, L’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) a refusé de voter positivement la Confiance au nouveau gouvernement pour lequel le parti Nahdha, parti gagnant des élections 2019, a proposé Mr Habib Jamli pour le former.
134 députés ont voté contre l’accord de confiance pour 72 voix favorables. Il avait besoin de 109 voix pour passer. Il a échoué.

Mais ce n’est pas la 1ère fois que l’ARP a refusé d’accorder sa confiance à un gouvernement sous le règne de la Constitution du 26 janvier 2014.
En effet, le 30 juillet 2016, l’ARP a refusé d’accorder la Confiance au Gouvernement Habib Essid qui l’a suggéré.


Sauf que cette fois-ci on était dans un registre différent.
Pour le 1er cas cité, Habib Jamli, le vote de confiance se situe dans le cadre de l’art 89 (§2) se référant au 1er vote de confiance auquel est soumis le nouveau gouvernement post élections.
Quant au second cas relatif au gouvernement H. Essid, le vote se situe dans le cadre de l’exercice prévu par le second paragraphe de l’art 98 de la Constitution autorisant un chef du gouvernement en place de demander un vote de confiance au parlement.
Les ressemblances
Une seule ressemblance (et à nuancer) dans les 2 cas consiste dans le fait que pour le cas du Gouvernement Habib Essid, c’est ce dernier qui a tenté de résister aux manœuvres du président de la République, le défunt BCE, et il a échoué ; alors pour le cas du Gouvernement Habib Jamli, c’est le parti Nahdha qui a voulu résister au reste du parlement (ou presque) pour forcer le vote, et il a échoué.
Les perdants !
Chefs de partis politiques, chefs de groupes politiques, experts, observateurs, médias et internautes ont conclu après le vote à la même Conclusion : la défaite du parti Nahdha. Certains ont eu même l’audace de conclure à sa fin.
Il faut dire que le 1er perdant dans ce vote c’est Habib Jamli et toute son équipe qui ont échoué à forcer le respect de l’Assemblée.
43 personnalités, de différentes spécialités, ont été bafouées, humiliés et traitées de tous les noms durant toute une journée, pour un post au gouvernement qu’elles ont finalement échoué à l’avoir. Et en plus, elles sont désormais « étiquetées » Nahdhaouis proches du parti islamiste.
Il est évident aussi que le Parti Nahdha est un grand perdant.
Pourquoi ?
Pour la petite raison qu’il avait, depuis 2012, pesé lourdement et positivement sur le vote de confiance au gouvernement (Gouvernements de H Jebali, Ali Laaraiedh, Mehdi Jomaa, Habid Essid et Youssef Chahed). Il a même pesé lourdement sur le vote négatif affligé au gouvernement Habib Essid. Enfin, et ne l’oublions pas, il a déjoué toutes les manœuvres du Président BCE pour faire échouer et tomber le gouvernement de Youssef Chahed.
Mais à en conclure que le Parti Nahdha a perdu la main sur la manœuvre politique quant à l’échiquier politique tunisien existant est un constat très prématuré.
Ainsi, une question doit se poser : Le Parti Nahdha a-t-il pesé de tout son poids pour faire passer un gouvernement dont le chef est son émanation ?
Non.
Car le plus grand mystère reste toujours à savoir comment ils ont choisi la personne la plus faible pour être leur candidat à former le gouvernement !!!
Ont-ils planifié sa chute ? veulent-ils aller à des élections anticipées pour gagner et compenser leurs pertes ?
Le temps nous le dira.
Les gagnants
A 1ère vue, c’est hallucinant et incroyable. C’est presque l’ennemi public numéro 1 qui en sort héros de ce chambardement : Nabil Karoui, président du parti Qalb Tounes.
Eh oui ! c’est ce Candidat aux présidentielles 2019 qui été en prison durant la campagne électorale, ennemi juré du Chef du gouvernement en poste Youssef Chahed, traité par tous de « mafieux » et de « corrompus » et même de « lèche-cul » du parti Nahdha, qui en sort maître de cet « échec et mat » affligé au parti islamiste.
Moins de 24 heures avant le vote, il fait non seulement « un accord de trêve » avec le Chef du Gouvernement en poste, mais il fait aussi un volte-face de 360° pour annoncer que son parti (et son groupe parlementaire) ne votera pas la confiance au gouvernement.
En 24 heurtes, la majorité des groupes parlementaires qui lui étaient hostiles, lui deviennent dociles et amis.
Juste après le vote de confiance, il réussit même à tenir une conférence de presse avec plus de 90 députés présents et jouer le chef d’orchestre.
Vous pouvez constater par vous-même
Mais tout le monde tente de se faire passer pour le héros qui a fait tomber le parti Nahdha et son groupe parlementaire (exception du groupe Karama).
On dirait que tout le monde a vendu la peau de l'ours avant de l'avoir tué.
Et on dirait qu’ils se sont déjà partis en direction de s’entretuer, tôt ou tard.
La bagarre !!!
Elle a déjà commencé, et moins même de 24h après le vote.
Chacun veut se présenter comme le « leader » de cette coalition attendue.
Mais c’est une bagarre ou une bataille contre qui ?
Contre la nahdha ?
C’est une peine perdue. Car réunir une coalition d’extrême droite, de droite, de centre gauche, de gauche, d’extrême gauche et de « bâtards » va finir, tôt ou tard, par s’exploser contre eux. Ça sera même une implosion.
Contre le Président de la République ?
Rien ne le présage ou ne le justifie.
Hélas, des déclarations laissent penser que c’est le cas.
Mr Khaled Krichi, haut dignitaire du parti Chaab, vient de déclarer à radio mosaïque fm, que les blocs et groupes parlementaires qui ont voté contre la confiance au gouvernement vont entrer en concertation pour se mettre d’accord sur une liste de 3 personnalités qui sera soumise au Président de la république afin d’en choisir un parmi elles.
(1er fichier audio)
Cette démarche, même si elle existe, ce n’est pas une démarche à annoncer car c’est une violation manifeste de la Constitution (art 89 §3) et une tentative de « forcer » la main au Président de la République.
Cette démarche tente 2 objectifs :
Retirer au Président de la République un pouvoir constitutionnel qui est d’entamer des pourparlers et des négociations avec les partis politiques (même s’ils ne sont pas représentés au parlement) et groupes parlementaires.
Imposer au Président de la République un choix restreint de Candidat ce qui est contraire au texte de la Constitution.
Ce choix de Mr Krichi va aboutir à l’anéantissement définitif de certains partis politiques historiques du pays tels qu’el Jomhouri, le Travailleur Tunisien, le front populaire, Ettakattol, El Massar, et tant d’autres.
Je trouve cette déclaration dangereuse et menaçante.
Une guerre dans le clan contre
En réalité, par amateurisme politique, certains ont cru gagné et ils ont tort. Ils entament déjà leur fin « programmée ».
Le parti Nahdha voulait peut-être que la balle atterrit dans le camp du Président de la République pour qu’il en subisse les conséquences.
Et c’est possible que ses « éventuels » adversaires qui en assumeront ce rôle demain.
Conclusion : on pensait que c’est la fin !! eh ben non, ce n’est que le début.