Une polémique, comme d’autres, a connu l’ARP (Assemblée des
Représentants du Peuple) concernant la présidence d’une commission d’enquête devant
enquêter sur les causes de la classification de la Tunisie dans la liste « noir »
des pays présentant des risques de paradis fiscaux par l’union européenne.
Encore une fois, à chaque polémique ou un débat qui fait
surface, on se rend compte que le Règlement intérieur de cette Assemblée en est
la cause de tous (ou presque) ces maux.
Principes Généraux
L’article 63 du R.I de l’ARP dispose que l’Assemblée crée des
commissions permanentes ou spéciales comme elle peut créer, éventuellement, des
commissions d’enquêtes.
L’article 64 dispose aussi que les commissions sont composées
(de 22 membres) selon la règle de la représentativité relative. Cette règle est
expliquée par le même article : chaque groupe aura un siège pour 10
membres de son groupe (exemple : un groupe ayant 100 élus, il aura 10
sièges).
Ces articles 63 et 64 s’appliquent à toutes les commissions
(permanentes, spéciales ou d’enquête).
Donc, pour les 22 membres, l’application de la règle de la
représentativité proportionnelle ne fait plus l’ombre de doute.
Mais qu’en est-il de son bureau ?
Ici, le R.I altère entre l’explicite et l’implicite.
L’explicite dans le Règlement intérieur
L’article 98 du R.I dispose que l’opposition (définie à l’article..)
peut demander la constitution d’une commission d’enquête une fois par session
parlementaire et la présider.
Cet article est formel : si l’opposition demande la mise
en place d’une commission d’enquête, elle aura le poste du Président de ladite
commission.
Ainsi, le poste du Président d’une commission d’enquête est
clairement et explicitement réglé par le R.I concernant un cas unique.
Mais qu’en est-il des autres cas ?
L’implicite dans le Règlement intérieur
Les dispositions spéciales aux commissions d’enquêtes ne
résolvent pas le problème. Il faut revenir aux dispositions communes et
spécialement l’article 70 du R.I.
Le 1er paragraphe de cet article précise que c’est
le Bureau de l’ARP qui fixe la quotepart des postes au bureau de la commission
revenant à chaque groupe tout en respectant la règle de la représentativité
proportionnelle.
Mais le 2ème paragraphe dispose que la présidence
des commissions de même nature est attribuée en fonction de la règle de la
représentativité proportionnelle.
Il est évident que cette disposition concerne les commissions
permanentes (9 commissions, article 87 ; et les commissions spéciales :
9 commissions, article 93).
En effet, la disposition du 2ème paragraphe de l’article
70 ne peut s’appliquer sainement que si on un nombre fixe de commissions pour
lesquelles on devra attribuer des présidences. Ce qui fait défaut pour les
commissions d’enquêtes car leur nombre n’est pas connu d’avance.
Formellement, on peut se tenir à la lettre du 2ème
paragraphe de l’article 70 et exiger l’application de la règle de la
représentativité proportionnelle, mais une telle démarche serait un peu
utopique et irrationnelle.
La coutume Parlementaire
Une certaine coutume parlementaire a fait que le député qui
signe la demande de la mise en place d’une commission d’enquête en premier (ou
même d’une proposition de loi ou une pétition) en soit considéré l’auteur et
que la présidence lui soit confiée.
Dans le cas d’espèce, l’initiative appartient à un élu
appartenant à un groupe minoritaire (du point de vue cartographie des groupes)
et un parti minoritaire (du point de vue de cartographie partisane au sein de l’ARP).
Alors, faut-il appliquer aveuglement le 2ème
paragraphe de l’article 70 du R.I ou appliquer la coutume parlementaire ?
La minorité Parlementaire
La réponse à la question précédente doit passer par la mise à
nue, une autre fois, des défaillances de ce R.I de l’ARP qui non seulement a
bloqué cette Assemblée mais aussi il a été un facteur déterminant pour la
dépouiller de plusieurs de ses compétences.
En effet, ledit règlement a été rédigé en dehors de toute
considération prospective d’un travail parlementaire moderne et efficace.
La conception a été faite en prenant en facteur 2 paramètres rigides
et exclusifs de toute autre considération : majorité et opposition.
Mais dans un parlement, il peut y avoir une autre catégorie
des élus : la minorité. Une minorité flexible qui n’appartient ni à la
majorité ni à l’opposition.
Une lecture de la cartographie politique actuelle de l’ARP
laisse émerger une forte « minorité » d’environ 56 élus (soit 25%)
qui ne peut être classée ni de majorité ni d’opposition.
Les groupes Machrou3, watania, 14 élus non appartenant à des
groupes et encore, présentent une force réelle au sein de l’ARP mais, si
analysés seulement au vu des dispositions formelles du R.I, peuvent ne pas être
considérés comme tels ce qui est aberrant.
Un Règlement à côté du développement du
droit parlementaire
Il est évident que le R.I n’est pas fait pour hisser l’ARP à
l’institution parlementaire que voulait la Constitution.
Il est temps que cette ARP fonctionne en tant que parlement
et non en tant que tribune de plaidoirie devant un tribunal où on invoque des
théories d’interprétation de droit civil tirées du COC (qui date de 1909).
La présidence d’une commission d’enquête n’est en aucun cas
soumise à une disposition impérative et formelle. Et il est préférable de faire
avancer l’action parlementaire par le biais de moyens et procédures spécifiques
au droit parlementaire et non par des analyses qui n’ont rien à voir avec.
Cette polémique doit pousser les parlementaires à se hisser
en dehors de ce clivage (un peu dépassé) Majorité/Opposition et penser à la
minorité parlementaire qui doit avoir autant de droits et de privilèges.
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