samedi 10 mars 2018

Polémique autour de la Présidence d’une commission d’enquête


Une polémique, comme d’autres, a connu l’ARP (Assemblée des Représentants du Peuple) concernant la présidence d’une commission d’enquête devant enquêter sur les causes de la classification de la Tunisie dans la liste « noir » des pays présentant des risques de paradis fiscaux par l’union européenne.
Encore une fois, à chaque polémique ou un débat qui fait surface, on se rend compte que le Règlement intérieur de cette Assemblée en est la cause de tous (ou presque) ces maux.
Principes Généraux
L’article 63 du R.I de l’ARP dispose que l’Assemblée crée des commissions permanentes ou spéciales comme elle peut créer, éventuellement, des commissions d’enquêtes.
L’article 64 dispose aussi que les commissions sont composées (de 22 membres) selon la règle de la représentativité relative. Cette règle est expliquée par le même article : chaque groupe aura un siège pour 10 membres de son groupe (exemple : un groupe ayant 100 élus, il aura 10 sièges).
Ces articles 63 et 64 s’appliquent à toutes les commissions (permanentes, spéciales ou d’enquête).
Donc, pour les 22 membres, l’application de la règle de la représentativité proportionnelle ne fait plus l’ombre de doute.
Mais qu’en est-il de son bureau ?
Ici, le R.I altère entre l’explicite et l’implicite.
L’explicite dans le Règlement intérieur
L’article 98 du R.I dispose que l’opposition (définie à l’article..) peut demander la constitution d’une commission d’enquête une fois par session parlementaire et la présider.
Cet article est formel : si l’opposition demande la mise en place d’une commission d’enquête, elle aura le poste du Président de ladite commission.
Ainsi, le poste du Président d’une commission d’enquête est clairement et explicitement réglé par le R.I concernant un cas unique.
Mais qu’en est-il des autres cas ?
L’implicite dans le Règlement intérieur
Les dispositions spéciales aux commissions d’enquêtes ne résolvent pas le problème. Il faut revenir aux dispositions communes et spécialement l’article 70 du R.I.
Le 1er paragraphe de cet article précise que c’est le Bureau de l’ARP qui fixe la quotepart des postes au bureau de la commission revenant à chaque groupe tout en respectant la règle de la représentativité proportionnelle.
Mais le 2ème paragraphe dispose que la présidence des commissions de même nature est attribuée en fonction de la règle de la représentativité proportionnelle.
Il est évident que cette disposition concerne les commissions permanentes (9 commissions, article 87 ; et les commissions spéciales : 9 commissions, article 93).
En effet, la disposition du 2ème paragraphe de l’article 70 ne peut s’appliquer sainement que si on un nombre fixe de commissions pour lesquelles on devra attribuer des présidences. Ce qui fait défaut pour les commissions d’enquêtes car leur nombre n’est pas connu d’avance.
Formellement, on peut se tenir à la lettre du 2ème paragraphe de l’article 70 et exiger l’application de la règle de la représentativité proportionnelle, mais une telle démarche serait un peu utopique et irrationnelle.
La coutume Parlementaire
Une certaine coutume parlementaire a fait que le député qui signe la demande de la mise en place d’une commission d’enquête en premier (ou même d’une proposition de loi ou une pétition) en soit considéré l’auteur et que la présidence lui soit confiée.
Dans le cas d’espèce, l’initiative appartient à un élu appartenant à un groupe minoritaire (du point de vue cartographie des groupes) et un parti minoritaire (du point de vue de cartographie partisane au sein de l’ARP).
Alors, faut-il appliquer aveuglement le 2ème paragraphe de l’article 70 du R.I ou appliquer la coutume parlementaire ?
La minorité Parlementaire
La réponse à la question précédente doit passer par la mise à nue, une autre fois, des défaillances de ce R.I de l’ARP qui non seulement a bloqué cette Assemblée mais aussi il a été un facteur déterminant pour la dépouiller de plusieurs de ses compétences.
En effet, ledit règlement a été rédigé en dehors de toute considération prospective d’un travail parlementaire moderne et efficace.
La conception a été faite en prenant en facteur 2 paramètres rigides et exclusifs de toute autre considération : majorité et opposition.
Mais dans un parlement, il peut y avoir une autre catégorie des élus : la minorité. Une minorité flexible qui n’appartient ni à la majorité ni à l’opposition.
Une lecture de la cartographie politique actuelle de l’ARP laisse émerger une forte « minorité » d’environ 56 élus (soit 25%) qui ne peut être classée ni de majorité ni d’opposition.
Les groupes Machrou3, watania, 14 élus non appartenant à des groupes et encore, présentent une force réelle au sein de l’ARP mais, si analysés seulement au vu des dispositions formelles du R.I, peuvent ne pas être considérés comme tels ce qui est aberrant.
Un Règlement à côté du développement du droit parlementaire
Il est évident que le R.I n’est pas fait pour hisser l’ARP à l’institution parlementaire que voulait la Constitution.
Il est temps que cette ARP fonctionne en tant que parlement et non en tant que tribune de plaidoirie devant un tribunal où on invoque des théories d’interprétation de droit civil tirées du COC (qui date de 1909).
La présidence d’une commission d’enquête n’est en aucun cas soumise à une disposition impérative et formelle. Et il est préférable de faire avancer l’action parlementaire par le biais de moyens et procédures spécifiques au droit parlementaire et non par des analyses qui n’ont rien à voir avec.
Cette polémique doit pousser les parlementaires à se hisser en dehors de ce clivage (un peu dépassé) Majorité/Opposition et penser à la minorité parlementaire qui doit avoir autant de droits et de privilèges.

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