La nouvelle
expérience parlementaire tunisienne sous l’ère démocratique post
révolutionnaire commence à fournir des éléments de richesse pour le droit
parlementaire tunisien.
Plusieurs se
sont étonnés non seulement de cette rapide adaptation des nouveaux élus
tunisiens, que ce soit avec l’ANC ou avec l’ARP, avec les mécanismes
parlementaires les plus complexes, mais aussi de leurs capacités de manœuvrer en
vue de contourner certaines règles ou les mettre en échec.
L’expérience
tunisienne en matière de groupes parlementaires est une excellente illustration
de ce qui est avancé.
En effet,
avec l’ANC, des groupes se sont constitués dès les premiers semaines et d’autres
se sont dissoutes dès les premiers mois. Les changements qui ont affecté ces
groupes n’ont pas suscité des débats houleux même si les conséquences étaient
un peu désastreuses sur le bon fonctionnement de l’Assemblée.
Avec l’ARP,
des conséquences de l’expérience ANC n’ont pas été retenues pour pallier à des
lacunes manifestes dans le règlement. Mais contrairement à la phase
constituante, les polémiques se sont vite apparues sans un débat technique sur
la question.
En réalité,
même si les élus se sont adaptés au mécanisme des groupes, ils n’ont pas été suffisamment
accompagnés dans la perception philosophique du concept « Groupes parlementaires ».
En droit
parlementaire, le concept « groupe » ne s’identifie pas totalement au
concept « parti » mais il ne lui est pas complètement étranger.
L’analyse au
plus simple commande la rétention de ces principes de base :
1- L’élu, est
représentant de tout le peuple et non d’un parti.
Ce principe n’a pas été retenu, malheureusement, dans les dispositions
constitutionnelles malgré nos insistances répétitives au sein du comité de
rédaction ou au sein de la commission des consensus. On nous répliquait que le
sens est véhiculé in fine dans l’art 50.
Heureusement, l’art 20 du RI le stipule expressément.
2- L’élu
représentant du peuple est libre de choisir la structure parlementaire
dans laquelle il veut exercer son mandat pourvu que cette structure n’aboutit
pas à un mandat impératif (un mandat qui impose à l’élu de défendre exclusivement
des intérêts sectoriels, partisans ou autres altérant son vote pour l’intérêt
du peuple).
Heureusement aussi, le RI de l’ARP stipule une telle idée dans le
paragraphe 3 de l’art 34.
3- Le parti ne
pouvant pas être traité tel que tel à l’enceinte parlementaire, il a la
possibilité de faire structurer ses élus sous l’égide d’un groupe
parlementaire.
Mais pour préserver la diversité des idées et le pluralisme des opinions,
éléments clés de la démocratie parlementaires, certaines dispositions ont été conçues
pour éviter toute manœuvre dolosive contournant les principes évoqués dont
notamment l’interdiction faite à un parti ou une coalition de former 2 groupes
(art 34.2) comme l’interdiction à un élu de faire partie de plusieurs groupes
(art 34.4)
4- Il est évident
alors de constater que l’équation groupe=parti ne tient pas en droit
parlementaire. Car ce qui soutient le groupe n’est pas l’appartenance partisane,
mais plutôt « les affinités politiques » de ses membres.
Par conséquent, un groupe peut être constitué par plusieurs élus issus de
différents partis (le cas du groupe social-démocrate).
Jusqu’ici, les choses sont simples.
Mais l’expérience tunisienne a laissé apparaitre certaines complications.
1- D’abord, la
question de savoir si un élu peut choisir de ne pas appartenir à un groupe
autre que celui de son parti ?
2- Quelle autorité
est compétente pour statuer sur la validité de ces groupes et sanctionner les
irrégularités ?
3- Quel impact
direct pouvait avoir des changements dans les groupes sur la composition des structures
parlementaires ?
Pour la 1ère
question, les dispositions du RI de l’ARP ne paraissent pas l’interdire. Le
paragraphe 3 de l’art 34 va même dans le sens de l’autoriser sans équivoque.
Cependant,
la nouvelle demande de constituer un nouveau groupe « Al Horra »
émanant de certains élus du parti Nida Tounes n’a pas été automatiquement reçue
par le bureau qui a demandé des explications sur leurs démissions du parti.
Ce qui nous
amène à traiter la question de l’autorité compétente pour juger de la validité
des procédures.
Le Bureau avait-il
le droit de refuser la constitution d’un groupe parlementaire ?
L’article 35
du RI stipule qu’un « groupe est constitué après dépôt d’une déclaration
écrite au secrétariat du Président de l’ARP. La déclaration comprend l’appellation
du groupe, la liste de ses membres et leurs signatures avec indication du son
président et son vice-président ».
Si on se
limite à cette disposition, le groupe se constitue par le simple dépôt de cette
déclaration. (il faut ajouter une autre condition stipulée par l’art 34.1
relative au nombre minimum des élus qui est 7). L’annonce de sa constitution au
cours de la plénière n’est qu’une mesure d’information.
C’est là où
apparaît les lacunes du RI.
Car même le
Président de l’Assemblée n’a pas été habilité à donner fin de non-recevoir en
cas de non observation du minimum des règles de forme de la constitution.
La transmission
de la déclaration au Bureau pour s’en prononcer était une procédure non prévue
par le RI mais elle palliait à une défaillance de ce règlement et ne pouvait
trouver un fondement juridique que par une lecture forcée du 1er
tiret de l’article 56.
Enfin, la
question la plus épineuse qui se pose, tient à étudier les effets de la
constitution ou la disparition de nouveaux groupes en cours de session
parlementaire ainsi que l’impact des changements les affectant.
Les
différentes structures de l’Assemblée (Bureau et Commissions) sont formées en
respect de la règle de représentation proportionnelle au début de chaque
session.
Mais il se
trouve que des changements radicaux peuvent toucher les groupes constitués affectant
la configuration du vote qui ne se trouve plus reflétée au niveau des
structures.
La stabilité
des structures commande leur maintien durant la session pour ne pas déstabiliser
le fonctionnement de l’Assemblée.
Mais ce même
bon fonctionnement peut être altéré si la configuration du vote effectif n’est
pas apparente au niveau de la composition des différentes structures.
Ce problème
a largement affecté les structures de l’ANC où des groupes représentés au
départ dans des structures clés, se sont vues absentes de ces structures après
défection de leurs élus.
C’est une
question délicate qu’il faut bien étudier son impact et chercher les solutions
adéquates pour y remédier.
Le problème aujourd’hui, ce que ces différentes questions sont traitées et analysées sous
le seul angle politique laissant en marge le débat technique.
Sans débat
technique, les dispositions resteront comme telles, et du coup, les problèmes
resteront aussi.
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