Début février 2015, avant le vote de
confiance au premier gouvernement, certains élus de l’ARP (Assemblée des
Représentants du Peuple) ont refusé des postes ministériels. Dans les
coulisses, ils ont justifié le refus par le fait que la « durée de vie »
de ce gouvernement ne dépassera pas une année, voir 18 mois.
Juin 2016, 17 mois après, le
gouvernement Habib Essid est en voie de disparaître.
Une disparition planifiée ?
Si on s’attarde sur certains détails
qui se sont accumulés depuis 17 mois, on ne peut être que stupéfié devant les
anomalies qui ont accompagné la formation du dit gouvernement, les votes de
confiance de l’ARP à ses membres et son mode de fonctionnement.
Une formation contestée par la majorité !
L’article 89 de la Constitution
dispose que le Président de la République charge le candidat du parti ou la
coalition qui a le plus grand nombre des sièges à l’ARP.
Alors même si un parti ou une
coalition reste libre de présenter son candidat faisant partie de ses siens ou
non, il ne reste pas moins que les bonnes pratiques des démocraties parlementaires
imposaient que le groupe majoritaire ou la coalition parlementaire majoritaire
soit de facto associé et au choix des membres du gouvernement et du programme
en fonction duquel le vote de confiance sera accordé.
Sur ce point, il parait que l’accord
des groupes n’a pas été efficacement recherché. Pour confirmer ce constat, on
verra plus loin, quelques données relatives au vote de confiance du 4 et 5
février 2015 ainsi que celui du 11/01/2016.
La logique partisane aurait dû
marquer la composition du gouvernement. La réalité tunisienne en a voulu
autrement. Ainsi, le parti Nida avec 86 élus, Nahdha avec 69 élus, UPL avec 16
élus et Afek avec 8 élus auraient dû avoir une présence qui concorde avec les
poids respectifs des uns et des autres.
Mais à la lecture de la composition
du gouvernement, on s’aperçoit du premier coup, que Nida et Nahdha n’avaient
pas une représentativité logique par rapport à la représentativité de l’UPL et
Afek.
Du coup, un double effet négatif :
d’un côté, certains ministres ne prêtaient guerre attention au vote de
confiance de l’ARP car ils pensent que leurs sièges ne sont pas tributaires des
votes des élus. D’un autre côté, plusieurs élus de la majorité estiment que ce
gouvernement n’est pas le leur et n’ont pas une obligation « logique »
à les « supporter » par leur vote positif.
Un vote de confiance en douleur !
Une majorité parlementaire gouvernementale
s’évalue en fonction de certains indicateurs de bonnes pratiques de démocratie
parlementaire dont le vote de confiance en est un, et d’une importance
capitale. La discipline de vote de cette majorité est un repère capital
pour tout gouvernement.
Le 4 et 5 février 2015, le vote de
confiance au gouvernement a enregistré 17 défections (entre « non » ,
« abstention » et non-participation au vote) dont 7 de Nida et 10 de
Nahdha. Mais le gouvernement n’y prêtait pas attention apparemment car il pensait
avoir l’appui de 162 élus, une majorité très confortable au-delà des 2/3 (145
élus).
Mais le 11 Janvier 2016, le vote de
confiance a enregistré 63 défections dont 34 de Nida, 20 de Nahdha, 7 de l’UPL
et 2 de Afek. Le nombre des contestataires s’est multiplié par 4 en moins
d’une année!!
La discipline de vote de la majorité
n’a pas fonctionné et, encore pire, il s’est profondément altéré.
Le gouvernement s’en foutait encore ?
Un fonctionnement hallucinant !
Le fonctionnement du gouvernement n’a
pas manqué de prouver le dysfonctionnement des mécanismes qui l’ont fait venir
et qui l’ont maintenu en place.
Les signes précurseurs n’ont pas
tardé à se manifester dès le début. La démission de Mr Lazhar Akremi, ministre
chargé des relations avec l’ARP, aurait dû imposer une première évaluation du
mode de fonctionnement du gouvernement. Rien n’a été fait.
Pire encore, le limogeage du ministre
de la justice, Med Salah ben Aissa,
était la preuve que des membres du gouvernement n’ont rien compris au jeu démocratique
d’un gouvernement lié à une ARP par un vote de confiance. Plusieurs observateurs
ont souligné que la Tunisie n’avait pas un gouvernement mais plutôt un ensemble
de ministres gérant chacun son département, à vue et sans commandement central.
On peut encore s’attarder sur d’autres
faits pour s’arrêter sur un dysfonctionnement alarmant du gouvernement par
rapport aux normes qu’imposait une logique d’un gouvernement tenant sa
légitimité d’une majorité parlementaire !
Plusieurs se sont posés la question :
d’où tient le gouvernement sa légitimité ?
Il est certain, que les affinités
entre Gouvernement Essid et l’ARP ne sont pas et n’étaient pas au beau fixe.
Aujourd’hui, ce même gouvernement
veut trouver son salut auprès de cette même ARP !!! c’est insensé ?
Un Gouvernement en agonie !
La logique constitutionnelle aurait
imposé une logique simple : Un gouvernement qui perd solennellement la
confiance de la majorité parlementaire doit démissionner.
La question qu’on se pose aujourd’hui est comment un gouvernement perd cette majorité ?
La toute nouvelle jeune expérience
démocratique tunisienne enrichit le droit parlementaire et le droit
constitutionnel comparé par ses pratiques et
manœuvres inédites.
Ainsi, si on se réfère au droit
comparé, un gouvernement perd sa majorité en 2 situations presque similaires :
la première quand cette majorité lui refuse un projet de loi ; la deuxième
quand ce gouvernement, à l’occasion d’un vote d’un projet de loi, soumet en
même temps sa confiance en question. Le vote négatif du projet de loi signifie
une notification de retrait de confiance.
Dans des démocraties dont ses
institutions se respectent, le gouvernement, dans les 2 cas, présente sa
démission.
Que s’est-il passé ?
Depuis quelques semaines, le
Président de la République avait entamé
des pourparlers avec des « hauts dignitaires » de la politique
tunisienne pour trouver une solution à une crise socio-économique du Pays.
Une presque unanimité s’est accordée
à ce que ce gouvernement a échoué et ne pouvait pas réussir cette mission d’assurer
le redressement de la situation. D’où la solution logique : mettre en
place un nouveau gouvernement.
Partant d’un tel constat, le
Président de la République a entamé une « initiative » politique se
résumant à réunir une majorité parlementaire, politique et socio-économique autour d’un projet de priorités qu’un nouveau gouvernement devra exécuter.
Cette initiative a abouti à la signature
d’un document « pacte de Carthage » définissant les priorités du « futur »
gouvernement. En parallèle, les partis représentant la majorité parlementaire
soutenant le Gouvernement Essid ont expressément soutenu l’initiative
présidentielle et appelé le Gouvernement à « partir ».
La solution préconisée est la
démission du Gouvernement. Le choix du mode se justifie tout simplement
par « Gagner du temps et éviter la lourdeur des procédures ».
Comment décamper un Gouvernement par voie constitutionnelle ?
Pour faire « partir » un
gouvernement, notre constitution prévoit 5 cas de figure tout en passant sous
silence un autre cas :
1- La motion de
censure : c’est
le mode le plus violent et le plus radicale. Il est prévu par l’art 97 et cette
technique vise à notifier au gouvernement le retrait de la confiance
parlementaire et la mise en place d’un nouveau gouvernement. C’est une
technique lourde, politiquement et techniquement. C’est une vraie « répudiation ».
pour qu’elle aboutisse, cette technique doit être entamée par un 1/3 des
députés, ne peut être examinée qu’après 15 jours de son dépôt et votée à la
majorité absolue. Le vote portera doublement sur le retrait de confiance de l’actuel
gouvernement et l’approbation de la candidature du nouvel candidat au poste du
chef du gouvernement.
Pour que cette technique aboutisse à
la mise en place définitive d’un nouveau gouvernement, il nous faut en moyenne
un délai de 4 à 6 semaines au minimum. (On verra l’importance des délais)
Certains estiment que cette option est impossible actuellement pour raison de l’état d’urgence déclarée.
Avec tout le respect, c’est FAUX.
La déclaration d’état d’urgence (actuellement en vigueur) n’est pas tout à fait similaire et identique avec la situation exceptionnelle prévue par l’art 80 où le Président de la République est investi de pouvoirs exceptionnels et pour laquelle il doit « obligatoirement » s’adresser au peuple pour lui expliquer la situation.
Donc, la motion de censure reste possible, actuellement car nous ne sommes pas dans les conditions de la situation prévue par l’art 80 pour que la motion de censure
2- Le vote de confiance sur initiative du chef gouvernement :
Certains estiment que cette option est impossible actuellement pour raison de l’état d’urgence déclarée.
Avec tout le respect, c’est FAUX.
La déclaration d’état d’urgence (actuellement en vigueur) n’est pas tout à fait similaire et identique avec la situation exceptionnelle prévue par l’art 80 où le Président de la République est investi de pouvoirs exceptionnels et pour laquelle il doit « obligatoirement » s’adresser au peuple pour lui expliquer la situation.
Donc, la motion de censure reste possible, actuellement car nous ne sommes pas dans les conditions de la situation prévue par l’art 80 pour que la motion de censure
2- Le vote de confiance sur initiative du chef gouvernement :
Le 2ème
paragraphe de l’art 98 prévoit le cas où le Chef du gouvernement prend l’initiative
de soumettre au parlement (ARP) la question de confiance.
C’est
une procédure moins compliquée puisqu’elle ne demande pas assez de conditions
de formes. La question de confiance peut être posée à l’occasion d’un examen d’un
projet de loi, d’une plénière de dialogue entre Assemblée et gouvernement ou
demandée spécialement pour ça provoquant une plénière pour un vote de confiance
sans formalisme particulier.
Pour ce
cas de figure, 4 semaines au minimum pour voir émerger un nouveau gouvernement.
3- Le vote de confiance
sur initiative du Président de la République :
C’est
un cas de figue prévue par l’art 99. La procédure est encore moins formaliste
que la 1ère mais les délais pour voir un nouveau gouvernement mis en
place seront identiques aux 2ème cas (4 semaines au minimum)
4- La démission
du Chef du Gouvernement :
C’est
le cas de figue le plus simple prévu par le 1er paragraphe de l’article
98. Une simple demande écrite émanant du Chef du gouvernement implique une mise
en œuvre automatique de la procédure de l’article 89. 2 semaines au minimum
pourront suffire à voter un nouveau gouvernement.
5- La vacance
définitive :
C’est
un cas de figure prévu par l’art 100 et qui concerne une vacance définitive
constatée au poste du Chef du gouvernement hors les cas de démission et retrait
de confiance (maladie longue durée, décès, absence…).
Ce cas
de figure est compliqué et reste difficilement applicable par l’absence de
procédure appropriée à commencer par l’autorité habilitée à constater la
vacance.
6- La
désapprobation du gouvernement
La constitution
n’a pas évoqué toutes les situations « logiques » où un gouvernement
se voit dans une obligation de partir.
Le 1er
cas connu dans les expériences comparées est celui d’un rejet par le parlement
d’un projet de loi soumis par le gouvernement. En effet, un projet de loi
présenté par le gouvernement et rejeté par le parlement signifie que ce
gouvernement ne jouit plus de la confiance de la majorité parlementaire ce qui
doit l’obliger soit à démissionner soit à soumettre la question de confiance à
l’épreuve du vote.
Le 2ème
cas, tunisien celui-là, consiste en une déclaration solennelle des partis
politiques constituant cette majorité signifiant un retrait de confiance ou
abstention de confiance envers le gouvernement en place. Dans un tel cas de
figure, la logique impose au gouvernement de présenter sa démission.
Où sommes-nous ?
Récapitulons : 3 autorités sont aptes à
faire « dégager » un gouvernement : 1) L’ARP par motion de
censure (cas de figure1), retrait de confiance sur initiative du Président de
la République (cas 3) ou du Chef du Gouvernement (cas 2) ou suite à
désapprobation (cas de figure 6). 2) Le Chef du Gouvernement suite à sa
démission (cas 4) ou sa disparition (cas 5) et 3) Le Président de la République
par soumettre la confiance de L’ARP en gouvernement au vote ( Cas 3).
Pratiquement : Nous avons un Président de la
République qui refuse de passer à la phase 3. Un Chef du Gouvernement qui
refuse de suivre l’option de la phase 4 et une ARP dans l’expectative.
Réellement, nous avons un Président de la
République qui fait tout pour nous faire savoir que le Gouvernement ne jouit
plus de la confiance de la majorité parlementaire et ne fait rien de plus ;
Une majorité parlementaire qui déclare solennellement qu’elle ne ferait plus
confiance à l’actuel gouvernement mais ne fait rien de plus, pour le moment.
Et nous avons un Chef du gouvernement
qui dit : Ok, tout le monde est contre moi, mais je reste et je veux que l’ARP
vote.
On doit quand même souligner qu’ai
sein de son gouvernement, certains ministres soutiennent l’initiative
présidentielle (et donc la démission du gouvernement) d’autres ministres, en
revanche, soutiennent le Chef du Gouvernement (la non démission) pour donner
une idée sur cette solidarité qui règne.
Mais que va voter l’ARP ?
Une motion de censure ?
Mais il va devoir la rédiger, la
motiver, la signer, la déposer, l’examiner, la valider, la soumettre à la
plénière, la débattre et la voter avec la condition que ses auteurs aient déjà
pensé et présenté le nouveau chef du Gouvernement.
Pour entamer et finir un tel
processus, il faut un minimum de 4 à 6 semaines.
Il faut entre temps penser aux
vacances parlementaires qui devront commencer fin juillet.
Si on doit finir le processus, une
session extraordinaire doit être annoncée ce qui va exiger encore 2 à 3
semaines de plus. 2 mois et on sera pas sûre d’en découdre avec !!
Un retrait de confiance ?
Mais ni le chef du gouvernement ni le
Président de la République n’ont manifesté l’intention de suivre la procédure
Constitutionnelle appropriée. Tant que personne ne bouge, tant que les choses
resteront au statu quo.
C’est quoi la Pathologie ?
Elle est manifeste et maligne :
ce gouvernement ne jouit d’aucune confiance sociopolitique mais persiste à se
maintenir en place sans un limogeage express de l’ARP.
En quoi c’est dangereux pour le Pays ?
Cette situation incroyablement
insensée est en train de créer une instabilité politique et institutionnelle
pour l’Etat. Tout le monde est en stand-by.
Ni le gouvernement pourra fonctionner
en toute sérénité même s’il fait semblant de faire valoir ni l’ARP ni encore le
reste des institutions de l’Etat.
Coïncidant avec une phase estivale où
tout le monde devra partir en vacances et où l’opinion publique aura du mal à
suivre les périples d’une telle « mascarade », les choses pourront
virer au « rouge » profitant de l’absence d’une focalisation
médiatique assez importante pour peser sur l’opinion publique.
Il ne faut pas oublier que durant
cette période, certains projets de lois très importants auraient dû être votés
tels que le code des investissements, le plan quinquennal 2016-2020, le code
des collectivités locales, la loi de finances 2017 et tant d’autres…
Que cette instabilité
politico-institutionnelle va figer tout ce processus législatif en l’état où il
est et, du coup, retarder (voir même mettre en cause) toutes les réformes qu’on
croyait prêtes à être votées.
Les conséquences économiques et
sociales ne seront que dramatiques pour le pays avec une croissance altérée et
une capacité d’embauche réduite à néant.
Et en final, nous aurons 4 mois pour
en finir, sinon, l’ARP sera dissoute et…rebelote.
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