Sous l’ère de la nouvelle Constitution Tunisienne du 26 Janvier
2014, deux gouvernements (présidés par Habib Essid ensuite par Youssef Chahed) se
sont vus accordés la confiance de L’Assemblée des Représentants du Peuple.
Durant presque 5 ans, plusieurs « incidents » liés à des
démissions ou des limogeages des ministres ont coulé beaucoup d’encre. La dernière
en date, hier même, le limogeage du ministre de la défense, du ministre des
affaires étrangères et d’un secrétaire d’Etat.
Historiquement, je cite d’autres « faits » dont notamment
le limogeage du ministre de la Justice Mohamed Salah Ben Aïssa, celui Rafik
Chelly, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur chargé des Affaires
sécuritaires, celui de Abid Briki, de la ministre des Finances Lamia Zribi, et
le ministre de l'Éducation, Néji Jalloul. Sans oublier les limogeages du ministre
de l'Intérieur Lotfi Brahem.
Il ne faut pas oublier, non plus, le refus de confiance par l’ARP
au gouvernement Habib Essid le conduisant à une démission de facto et son
remplacement par le Gouvernement Youssef Chahed.
Pour tous ces cas cités, le texte constitutionnel et le bon usage
démocratique ont été, à la limite, bafoués.
Un Chef du Gouvernement est-il vraiment Le Chef du
gouvernement ?
Le 1er paragraphe de l’article 89 de la Constitution
dispose explicitement que les membres du gouvernement sont « choisis »
par le Chef du Gouvernement.
Le 4ème paragraphe dispose quant à lui que le gouvernement
présente à l’ARP un résumé de son programme afin d’obtenir la confiance.
A priori, l’art 89 ne laisse aucun doute que c’est le Chef du
gouvernement qui choisit son équipe et que le vote de confiance du parlement se
fonde sur le programme du gouvernement et non sur la qualité de ses membres.
Il faut signaler en outre, que pour les postes des ministres de la
défense et celui des affaires étrangères, le choix du Chef du Gouvernement se
fait en marges des « consultations » avec le Président de la
République. Ce dernier ne choisit pas ces 2 ministres et par conséquent ne peut
pas les révoquer. Seul le chef du gouvernement est habilité à le faire par le
texte constitutionnel (Article 92 tiret 2).
« Jusqu’ici tout va bien ». Le Chef du Gouvernement est
le Chef hiérarchique des membres du gouvernement « dans l’exécution du
programme présenté à l’ARP pour l’obtention de sa confiance » (C’est moi
qui le souligne).
Mais les textes qui vont suivre vont semer le trouble dans ce
schéma clair et net.
La dérive textuelle
D’abord, le dernier paragraphe de l’article 97 permet à l’ARP de
retirer la confiance à un membre du gouvernement !
Ce texte altère donc ce « pouvoir » hiérarchique du Chef
du Gouvernement sur son équipe. L’ARP peut s’y mêler et en profondeur
structurelle même.
Ensuite, le 1er paragraphe de l’article 98 dispose que
la démission du Chef du gouvernement équivaut à la démission du gouvernement !.
Indirectement, cette disposition contredit le sens de l’article 89
qui implique que la confiance votée par l’ARP est accordée à tout le
gouvernement en fonction de son programme. L’art 98 fait de la « personnalité »
du Chef du Gouvernement la clé de l’existence même du gouvernement.
Et c’est le Règlement intérieur de l’ARP qui enfonce encore le clou
par ses articles 143 et 144 disposant que pour les remaniements ministériels,
le vote se fait à titre individuel pour chaque nouveau membre proposé ou même
pour un ancien membre appelé à d’autres fonctions !
Donc, le vote de l’article 89 est complètement dénaturé. Ce n’est
plus un vote pour le remaniement ou non, mais plutôt un vote portant sur des « personnes »
identifiées.
La pratique très malheureuse
Le Chef du Gouvernement ne choisit pas son équipe :
Au contraire, parfois elle lui est imposée par la « majorité »
parlementaire et même par des groupes de pressions hors de l’enceinte
parlementaire.
Et puisque cette « majorité » est disparate, non structurée,
non partisane et liée à des « structures occultes », une bonne partie
du gouvernement est composé d’éléments qui sont là pour servir des intérêts
plutôt que de servir « un programme » objet du vote de confiance.
Ainsi, le vote de confiance accordé au Gouvernement entier (art 89)
ou le vote de confiance accordé à un membre (art 144 R.I) est considéré par
plusieurs membres du gouvernement comme une confiance personnelle plutôt qu’une
confiance accordée au Chef du gouvernement.
Plusieurs ministres ont refusé explicitement d’obtempérer aux « consignes »
du Chef du Gouvernement et ont réagi très mal à leur limogeage tels que Med
Salah Ben Aissa, Neji Jelloul ou Abid Briki.
D’autres ont carrément refusé ce pouvoir hiérarchique au Chef du
Gouvernement tel que Abdelkrim Zbidi, ministre de la défense, qui a déclaré que
c’est Le Président de la République qui son « patron » !
L’histoire retiendra que la plus grande dérive constitutionnelle en
cette matière reste de loin la mise à l’écart du Chef du Gouvernement Habib
Essid, décidée au bon vouloir du défunt BCE, Président de la République, à l’époque.
L’Obligation d’un retour à la philosophie de l’Article 89
de la Constitution
Ce retour implique plusieurs actions qui devront être faites et respectées.
D’abord, il faut que les membres du gouvernement signent un
engagement pour servir le programme du gouvernement.
C’est un document qui doit être joint obligatoirement au « résumé »
du programme du gouvernement déposé à l’occasion du vote de la confiance.
La faillite à cet engagement impliquera possibilité pour le Chef du
Gouvernement de limoger « légitimement » un membre comme la
possibilité pour le parlement de retirer la confiance à un membre ou à tout le
gouvernement.
Ensuite, si le Chef du Gouvernement peut limoger un de ses
ministres, il doit expliquer les raisons de son acte au Parlement, et via lui,
au peuple car la confiance accordée au sens de l’art 89 est une confiance à un
GOUVERNEMENT en fonction d’un PROGRAMME qu’il a proposé. Un limogeage ne doit
pas être au bon gré de sa majesté.
Enfin, membres du gouvernement et tout autre responsable de l’Etat,
doivent comprendre qu’ils sont là pour servir l’intérêt général du pays. Au
lieu de passer leur temps à côtoyer les plateaux des médias, faut être sur le
terrain pour réparer les dégâts.
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