mardi 26 janvier 2016

2 ans de Constitution et un Etat en miette

Le 26 janvier 2014 avant minuit, la Tunisie s’est vu une nouvelle Constitution adoptée par l’Assemblée Nationale Constituante, issue des élections du 22/11/2011.
L’adoption de la nouvelle Constitution s’est faite dans un élan d’euphorie et le monde nous a applaudit cet exploit qualifiant notre processus de transition démocratique comme un modèle type que le reste du monde arabo-musulman doit suivre.
En réalité, le monde a applaudit le processus, mais pas le contenu du texte adopté.
Dans sa philosophie générale, la nouvelle Constitution tunisienne a voulu barrer la route à la renaissance d’une nouvelle dictature en Tunisie. C’est Bien.
Mais dans ses dispositions les plus fines, elle a ouvert la porte à mettre l’Etat en miette.
Aujourd’hui, cet exécutif à double tête pose plus de problème à l’Etat que d’en résoudre.
Aujourd’hui, cette ARP est démunie de ressources pour mener à bon terme sa mission.
Aujourd’hui, ce pouvoir judiciaire très compliqué peine à voir le jour.
Aujourd’hui, Cette Cour Constitutionnelle tarde encore à se Constituer.
Aujourd’hui, ce pouvoir local ne s’est même pas encore conçu.
Aujourd’hui, le dispositif des droits et libertés n’est encore que théorique.
Aujourd’hui, l’emblème de la République est encore le même. Et personne ne pense à le mettre à jour.
Aujourd’hui, nous sommes au point mort.
Après 2 ans, cette nouvelle Constitution ne nous a donné qu’un prix Nobel de la paix….et une brise de liberté de pensée aléatoire.
C’est loin des espoirs d’un peuple qui croit avoir fait une révolution.

mardi 19 janvier 2016

Polémique autour de la Constitution de groupes parlementaires

La nouvelle expérience parlementaire tunisienne sous l’ère démocratique post révolutionnaire commence à fournir des éléments de richesse pour le droit parlementaire tunisien.
Plusieurs se sont étonnés non seulement de cette rapide adaptation des nouveaux élus tunisiens, que ce soit avec l’ANC ou avec l’ARP, avec les mécanismes parlementaires les plus complexes, mais aussi de leurs capacités de manœuvrer en vue de contourner certaines règles ou les mettre en échec.
L’expérience tunisienne en matière de groupes parlementaires est une excellente illustration de ce qui est avancé.
En effet, avec l’ANC, des groupes se sont constitués dès les premiers semaines et d’autres se sont dissoutes dès les premiers mois. Les changements qui ont affecté ces groupes n’ont pas suscité des débats houleux même si les conséquences étaient un peu désastreuses sur le bon fonctionnement de l’Assemblée.
Avec l’ARP, des conséquences de l’expérience ANC n’ont pas été retenues pour pallier à des lacunes manifestes dans le règlement. Mais contrairement à la phase constituante, les polémiques se sont vite apparues sans un débat technique sur la question.
En réalité, même si les élus se sont adaptés au mécanisme des groupes, ils n’ont pas été suffisamment accompagnés dans la perception philosophique du concept « Groupes parlementaires ».
En droit parlementaire, le concept « groupe » ne s’identifie pas totalement au concept « parti » mais il ne lui est pas complètement étranger.
L’analyse au plus simple commande la rétention de ces principes de base :
1- L’élu, est représentant de tout le peuple et non d’un parti.
Ce principe n’a pas été retenu, malheureusement, dans les dispositions constitutionnelles malgré nos insistances répétitives au sein du comité de rédaction ou au sein de la commission des consensus. On nous répliquait que le sens est véhiculé in fine dans l’art 50.
Heureusement, l’art 20 du RI le stipule expressément.  
2- L’élu représentant du peuple est libre de choisir la structure parlementaire dans laquelle il veut exercer son mandat pourvu que cette structure n’aboutit pas à un mandat impératif (un mandat qui impose à l’élu de défendre exclusivement des intérêts sectoriels, partisans ou autres altérant son vote pour l’intérêt du peuple).
Heureusement aussi, le RI de l’ARP stipule une telle idée dans le paragraphe 3 de l’art 34.
3- Le parti ne pouvant pas être traité tel que tel à l’enceinte parlementaire, il a la possibilité de faire structurer ses élus sous l’égide d’un groupe parlementaire.
Mais pour préserver la diversité des idées et le pluralisme des opinions, éléments clés de la démocratie parlementaires, certaines dispositions ont été conçues pour éviter toute manœuvre dolosive contournant les principes évoqués dont notamment l’interdiction faite à un parti ou une coalition de former 2 groupes (art 34.2) comme l’interdiction à un élu de faire partie de plusieurs groupes (art 34.4)
4- Il est évident alors de constater que l’équation groupe=parti ne tient pas en droit parlementaire. Car ce qui soutient le groupe n’est pas l’appartenance partisane, mais plutôt « les affinités politiques » de ses membres.
Par conséquent, un groupe peut être constitué par plusieurs élus issus de différents partis (le cas du groupe social-démocrate).
Jusqu’ici, les choses sont simples.
Mais l’expérience tunisienne a laissé apparaitre certaines complications.
1- D’abord, la question de savoir si un élu peut choisir de ne pas appartenir à un groupe autre que celui de son parti ?
2- Quelle autorité est compétente pour statuer sur la validité de ces groupes et sanctionner les irrégularités ?
3- Quel impact direct pouvait avoir des changements dans les groupes sur la composition des structures parlementaires ?
Pour la 1ère question, les dispositions du RI de l’ARP ne paraissent pas l’interdire. Le paragraphe 3 de l’art 34 va même dans le sens de l’autoriser sans équivoque.
Cependant, la nouvelle demande de constituer un nouveau groupe « Al Horra » émanant de certains élus du parti Nida Tounes n’a pas été automatiquement reçue par le bureau qui a demandé des explications sur leurs démissions du parti.
Ce qui nous amène à traiter la question de l’autorité compétente pour juger de la validité des procédures.
Le Bureau avait-il le droit de refuser la constitution d’un groupe parlementaire ?
L’article 35 du RI stipule qu’un « groupe est constitué après dépôt d’une déclaration écrite au secrétariat du Président de l’ARP. La déclaration comprend l’appellation du groupe, la liste de ses membres et leurs signatures avec indication du son président et son vice-président ».
Si on se limite à cette disposition, le groupe se constitue par le simple dépôt de cette déclaration. (il faut ajouter une autre condition stipulée par l’art 34.1 relative au nombre minimum des élus qui est 7). L’annonce de sa constitution au cours de la plénière n’est qu’une mesure d’information.
C’est là où apparaît les lacunes du RI.
Car même le Président de l’Assemblée n’a pas été habilité à donner fin de non-recevoir en cas de non observation du minimum des règles de forme de la constitution.
La transmission de la déclaration au Bureau pour s’en prononcer était une procédure non prévue par le RI mais elle palliait à une défaillance de ce règlement et ne pouvait trouver un fondement juridique que par une lecture forcée du 1er tiret de l’article 56.
Enfin, la question la plus épineuse qui se pose, tient à étudier les effets de la constitution ou la disparition de nouveaux groupes en cours de session parlementaire ainsi que l’impact des changements les affectant.
Les différentes structures de l’Assemblée (Bureau et Commissions) sont formées en respect de la règle de représentation proportionnelle au début de chaque session.
Mais il se trouve que des changements radicaux peuvent toucher les groupes constitués affectant la configuration du vote qui ne se trouve plus reflétée au niveau des structures.
La stabilité des structures commande leur maintien durant la session pour ne pas déstabiliser le fonctionnement de l’Assemblée.
Mais ce même bon fonctionnement peut être altéré si la configuration du vote effectif n’est pas apparente au niveau de la composition des différentes structures.
Ce problème a largement affecté les structures de l’ANC où des groupes représentés au départ dans des structures clés, se sont vues absentes de ces structures après défection de leurs élus.
C’est une question délicate qu’il faut bien étudier son impact et chercher les solutions adéquates pour y remédier.
Le problème aujourd’hui, ce que ces différentes questions sont traitées et analysées sous le seul angle politique laissant en marge le débat technique.

Sans débat technique, les dispositions resteront comme telles, et du coup, les problèmes resteront aussi. 

jeudi 7 janvier 2016

Remaniement ministériel : Constitution et Règlement intérieur

Toujours et comme d’habitude, c’est par un communiqué de presse que le Peuple Tunisien a appris la « décision » du Chef du gouvernement d’effectuer un remaniement ministériel.
Une lecture rapide de ce remaniement laisse paraître ces éléments :
1)      Limogeage de certains membres
2)      Nomination de nouveaux membres
3)      Suppression d’une catégorie de membres
4)      Création de nouveaux départements
5)      Division d’autres départements
Une première remarque s’impose :
La Constitution ne prévoit pas le cas du remaniement ministériel. On vient de s’en apercevoir.
En effet, seul le cas du limogeage d’un ou plusieurs membres du gouvernement est prévu par le tiret 2 de l’article 92. Cette disposition ne prévoit pas le cas de nomination.
Si le Chef du gouvernement aurait limogé un ou plusieurs membres, il aurait été dans le respect de la Constitution et n’avait pas besoin de l’aval de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP).
Mais là, il vient de nommer d’autres nouveaux membres. Et la question qui se pose : devra-t-il passer par un vote de confiance de l’ARP ?
Si on tient à la Constitution, on ne trouve aucune disposition qui traite du vote de confiance pour une nomination partielle au gouvernement.
Toutes les dispositions de la Constitution évoquent le cas de disparition totale du gouvernement suite à une démission de son chef ou perte de confiance du Parlement (les articles : 97, 98, 99, 100).
Il faut chercher la solution dans l’article 142 et, surtout, 144 du Règlement Intérieur de l’ARP. D’après cette dernière disposition, en cas de remaniement partiel, la question doit être exposée devant l’ARP pour expliquer les motifs du remaniement et présenter les nouveaux membres du gouvernement.
Alors que va faire le Chef du Gouvernement ?
Ne pas se soumettre au RI de l’ARP et profiter de ce mutisme constitutionnel ou aller vers une confiance parlementaire qui risquerait d’altérer sa volonté.
Les principes du parallélisme des formes et de l’interprétation par syllogisme laissent pencher la balance vers un vote de confiance de l’ARP sur le remaniement et sur chaque nouveau membre.
Le dernier tiret de l’article 78 est une disposition qui justifie encore plus cette idée.
Il ne reste pas moins que le Chef du Gouvernement aurait des difficultés à expliquer des éventuelles violations de la Constitution :
-          D’abord, la décision de toucher aux structures des départements ministériels a-t-elle été discutée dans un conseil des ministres pour être conforme au 1er tiret de l’article 92 de la Constitution ?
-          Ensuite, le Chef du Gouvernement est-il en droit de supprimer le poste « Secrétaire d’Etat » étant donné que le 1er paragraphe de l’article 89 de la Constitution dispose que le gouvernement es composé de ministres et de Secrétaires d’Etat ?