J’ai eu l’occasion
de connaitre le Professeur Med Salah ben Aissa à l’occasion de son audition par
la commission des consensus de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) et à l’occasion
de son expertise du projet du Règlement intérieur de l’Assemblée des
Représentants du Peuple (ARP).
Durant la 1ère
occasion, il a été le plus convaincant de tous les experts auditionné. Durant
la seconde occasion, j’ai découvert qu’il trouve des difficultés à maîtriser le
droit parlementaire. Et c’est important de le souligner car ça va expliquer
beaucoup de ce qui va suivre.
Peu importe,
le Monsieur force le respect et personnellement je lui réserve beaucoup d’estime.
Un vrai professeur.
Comme plusieurs,
j’ai regretté son limogeage par le chef du gouvernement même si je reste
convaincu que son passage à la tête du ministère de la justice est venu au
mauvais moment. Je le voyais plutôt ministre de l’enseignement supérieur. Bref.
Aujourd’hui,
j’ai suivi avec intérêt son passage sur midi show à Radio Mosaïque FM. Ses explications
m’ont un peu secoué et c’est dommage.
L’ex
ministre disait qu’il avait adressé une lettre au Président de l’ARP lui
indiquant que même si les amendements apportés au projet sont conformes à la
décision de la IPCCPL, l’ARP n’a pas
répondu à tous les griefs de l’instance !!!
Plus loin
dans son interview, il disait qu’il respectait les institutions et en 1er
lieu l’IPCCPL.
C’est à la
limite contradictoire. Ce n’est pas à un ministre de faire observer à l’ARP qu’elle
a répondu ou non aux griefs de l’IPCCPL.
Le projet de
loi du CSM allait être soumis obligatoirement à cette instance et c’est à elle,
et elle seule, de se prononcer sur la constitutionnalité et sur le respect de
sa décision par l’ARP.
Il explique
aussi que contredit par le chef du gouvernement, il avait refusé d’aller assister
à la plénière. Que ce refus n’entre pas dans les pratiques gouvernementales et
qu’il faut les changer.
Un membre du
gouvernement peut certes contester une injonction d’un chef du gouvernement ou
d’un 1er ministre. Mais ce ne sont pas toutes les injonctions qu’on
peut contester et ce ne sont pas à tous les ordres qu’on peut désobéir.
Assister à
une plénière n’est pas un geste formel. C’est un acte caractéristique des
relations entre l’exécutif et le législatif.
Et quand il
s’agit d’une plénière pour voter une loi, le refus d’un membre du gouvernement d’
y aller est un acte grave justifiant même un retrait de confiance de la part du
parlement. N’oublions pas que c’est cette Assemblé qui a accordé la confiance
pour devenir membre du gouvernement.
Sur ce plan,
donc, les analyses de Mr Ben Aissa ne tiennent pas.
Par contre,
Mr Ben Aissa a évoqué une violation de l’article 62 de la Constitution et je
pense que cette affaire a mis à nu un problème de taille.
L’article 62
dispose que les projets de lois (émanant du Chef d’Etat ou du Chef du
Gouvernement) sont prioritaires (par rapport aux propositions de lois, émanant
des élus).
Cet article
ne dit pas que ces mêmes projets de lois prioritaires sont non susceptibles d’amendements.
Car le droit d’amendement des élus est un droit constitutionnel sacré reconnu
comme tel par la majorité absolue des systèmes démocratiques.
Ce qui a
fait défaut, c’est la procédure devant être suivie pour amender des projets de
lois émanant de l’exécutif.
En droit
comparé, de tels amendements sont négociés avec le gouvernement. En cas de
désaccord, les procédures sont multiples et variées. Ainsi, si le Parlement
veut forcer l’amendement et que le gouvernement s’y oppose, ce dernier peut
déclencher un vote « confiance » du son projet. Le rejet du projet
implique une démission illico presto du gouvernement.
En Tunisie,
et sous l’ANC, les commissions parlementaires ont procédé à apporter des
amendements sans accord préalable du gouvernement. C’est devenu presque une
coutume. L’ARP a continué avec la même coutume en l’absence d’une procédure particulière.
Ce qu’il
faut noter à ce niveau, c’est que (à ma connaissance) aucun gouvernement sous l’ère
ANC ni jusque-là avec l’ARP a émis des réserves sur cette pratique.
Encore, les
ministres qui se sont succédé au poste du ministre chargé des relations avec l’Assemblée
(que ce soit ANC ou ARP) n’ont accompli leurs missions comme il se doit. En
effet, en droit comparé, ce poste occupe une importance particulière et
présente une pierre angulaire dans le fonctionnement du système parlementaire
par le biais de ses mécanismes de coordination qu’il offre.
Un tel
mécanisme faisant défaut, le parlement risque de se trouver en face d’un
ensemble de ministres et départements et non en face d’un Gouvernement. Ainsi,
un chef du gouvernement risque de voir son rôle cantonné en un domaine
protocolaire se limitant à signer des décrets et présider un conseil des
ministres tout en restant déconnecté de la gestion courante de l’appareil du l’exécutif.
Le cas du Mr
Ben Aissa met à nu ces lacunes et il doit nous alerter sur un danger plus grave :
la dénaturation du système mis en place par la nouvelle constitution en
exécutant des procédures mal adaptées et suivant des mécanismes non conformes
pouvant altérer profondément l’équilibre des institutions que toute la
Constitution Tunisienne de 2014 a voulu mettre en place.
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