mardi 18 juin 2019

Quel Parlement Tunisien après l’amendement de la loi électorale ?


L’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) vient d’adopter aujourd’hui des amendements « discutables » et « contestées » de la loi électorale.
La philosophie initiale des amendements proposés visait l’instauration d’un seuil électoral et le rétablissement de certaines personnes dans leur droit de diriger des bureaux de votes après avoir été exclus pour appartenance au parti RCD qui gouvernait avant la révolution.
Mais cette philosophie au moment de sa discussion aujourd’hui n’était plus la même.
Pour connaitre les amendements adoptés, Bawsala en a fait un inventaire :

Des Amendements Contestés

Les amendements adoptés sont contestés pour une double raison : D’abord ils visaient la « garantie » d’une majorité parlementaire. Ensuite, ils ont été commandés par une réaction à des sondages d’opinions.

Le Seuil électoral :

Durant tout le mandat parlementaire actuel (2014-2019), plusieurs parlementaires, des politiciens et même des académiciens ont conclu que l’instabilité gouvernementale ayant marqué ce mandat est due à un défaillance de la loi électorale ayant produit une cartographie parlementaire disparate.
C’est FAUX.
Pour y remédier, plusieurs ont recommandé l’instauration d’un seuil électoral qui devrait permettre l’émergence d’une majorité pouvant gouverner.
FAUT aussi
Si la majorité parlementaire était instable s’est principalement à une cause inhérente aux partis politiques la composant : une défaillance structurelle et idéologique.
Plusieurs partis ne répondaient pas aux conditions minimales requises pour mettre en place un parti politique.
Ce n’est pas l’absence du seuil électoral qui en est la cause mais plutôt une défaillance touchant même le texte régissant les partis politiques dépourvu de règles et principes garantissant leur bonne gouvernance.
L’exemple du Parti Nida Tounes en est une excellente illustration puisqu’il est scindé en plusieurs partis politiques après avoir gagné les élections de 2014.

L’impact des sondages d’opinion

Un sondage ne répondant à aucune condition minimale de transparence et fiabilité des centres de sondages d’opinion a fait publier courant ce mois un sondage montrant les partis au pouvoir dans des positions défavorisées pour les élections 2019 au détriment d’un détenteur d’une chaine de télévisons privée, d’une association et d’une ex dirigeante de l’Ancien RCD qui tenait un discours hostile au Parti Nahdha et ses alliés.
La majorité parlementaire a cru bon amender la loi électorale pour les empêcher de se présenter aux élections législative et présidentielles.
Réagir à des « sondages » peu crédibles et faits à une date lointaine des élections était un geste un peu « susceptible » et mal approprié car le « Tunisien » se décide en dernière minute.
Il ne reste pas moins que ces amendements ont été contestés par le fait qu’ils interviennent avant échéance électorales et non conformes aux « recommandations » internationales en la matière.
Mais personnellement, si je les conteste, c’est qu’ils sont dangereux.

Des Amendements dangereux

Les élections Tunisiennes post-révolution 2011 ont donné lieu soit par les élections 2011 ou par celles de 2014 à un type de démocratie Tunisienne spécifique à l’expérience Tunisienne : une majorité diversifiée.

Dans les 2 majorités, on trouvait un parti de tendance islamiste (la Nahdha) ou conservatrice (Le CPR) et des partis modernistes ou de gauche (Takattol en 2011, Nida et Afek en 2014).
C’est d’ailleurs cette diversité qui a joué un rôle principal dans la pérennité de cette démocratie tunisienne
Hélas, les amendements apportés sont dangereux à un triple niveau :

La faible position de l’ISIE

La position de l’ISIE quant aux amendements apportés est plus que contestable
La 1ère mission de l’ISIE en tant qu’instance constitutionnelle indépendante est selon l’art 125 de la Constitution : Le Renforcement de la démocratie.
Mais malheureusement, les membres actuels de cette ISIE n’y connaissent rien. Pour eux, la mission principale c’est le bon déroulement des élections. Il y a tout une fossée entre les 2.
L’ISIE aurait dû éclairer les parlementaires sur tous les impacts des amendements projetés, chose qu’elle ne l’a pas faite.

Le seuil électoral

Un seuil de 3% peut logiquement autoriser le parti Nahdha à avoir non seulement une majorité absolue, mais encore une majorité de 3/5 et même de 2/3 avec des alliances possibles.
La Nahdha pourrait avoir la possibilité de gouverner seule contrairement aux élections de 2011 et de 2014.
Sommes-nous prêts à vivre cette expérience ?
J’en doute fort.
Le paradoxe dans cette affaire, c’est que ce cadeau a été offert par les gagnants des élections 2014 qui ont bâti toute leur campagne électorale autour d’un seul objectif : exclure la Nahdha du Pouvoir.
Ils ont gagné les élections en 2014 et ont fait tout-à-fait le contraire en 2019 : permettre au parti Nahdha d’être seul au pouvoir.

Exclusion des rivaux et cartographie future probable :

L’élimination des rivaux potentiels va certainement aboutir à des effets non attendus.
Ces rivaux ne sont pas démunis de moyens pour réagir à cette exclusion. Ils ont les médias, l’argent, la sympathie populaire et surtout : la défaillance de la loi électorale.
Pour les présidentielles, ils vont appuyer le candidat « hors majorité ». Je pense par exemple, que si le Parti « El Badil » présente un candidat, il aura de fortes chances de gagner.
Pour les législatives, on sera dans une configuration encore plus poussée de celle des élections locales de 2018 avec une émergence des listes indépendantes d’où une cartographie parlementaire plus disparate et surtout plus indécise.
Bref, c’est une plongée dans une eau trouble très dangereuse.

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