L’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) vient d’adopter
aujourd’hui des amendements « discutables » et « contestées »
de la loi électorale.
La philosophie initiale des amendements proposés visait l’instauration
d’un seuil électoral et le rétablissement de certaines personnes dans leur
droit de diriger des bureaux de votes après avoir été exclus pour appartenance
au parti RCD qui gouvernait avant la révolution.
Mais cette philosophie au moment de sa discussion aujourd’hui
n’était plus la même.
Pour connaitre les amendements adoptés, Bawsala en a fait un
inventaire :
Résumé des modifications votées de la #LoiElectorale aujourd'hui par l'assemblée. #TNArp pic.twitter.com/yzukhLMtyJ— AlBawsala (@AlBawsalaTN) June 18, 2019
Des Amendements Contestés
Les amendements adoptés sont contestés pour une double
raison : D’abord ils visaient la « garantie » d’une majorité
parlementaire. Ensuite, ils ont été commandés par une réaction à des sondages d’opinions.
Le Seuil électoral :
Durant tout le mandat parlementaire actuel (2014-2019),
plusieurs parlementaires, des politiciens et même des académiciens ont conclu
que l’instabilité gouvernementale ayant marqué ce mandat est due à un
défaillance de la loi électorale ayant produit une cartographie parlementaire
disparate.
C’est FAUX.
Pour y remédier, plusieurs ont recommandé l’instauration d’un
seuil électoral qui devrait permettre l’émergence d’une majorité pouvant gouverner.
FAUT aussi
Si la majorité parlementaire était instable s’est
principalement à une cause inhérente aux partis politiques la composant :
une défaillance structurelle et idéologique.
Plusieurs partis ne répondaient pas aux conditions minimales
requises pour mettre en place un parti politique.
Ce n’est pas l’absence du seuil électoral qui en est la
cause mais plutôt une défaillance touchant même le texte régissant les partis
politiques dépourvu de règles et principes garantissant leur bonne gouvernance.
L’exemple du Parti Nida Tounes en est une excellente illustration
puisqu’il est scindé en plusieurs partis politiques après avoir gagné les
élections de 2014.
L’impact des sondages d’opinion
Un sondage ne répondant à aucune condition minimale de
transparence et fiabilité des centres de sondages d’opinion a fait publier
courant ce mois un sondage montrant les partis au pouvoir dans des positions
défavorisées pour les élections 2019 au détriment d’un détenteur d’une chaine
de télévisons privée, d’une association et d’une ex dirigeante de l’Ancien RCD qui
tenait un discours hostile au Parti Nahdha et ses alliés.
La majorité parlementaire a cru bon amender la loi
électorale pour les empêcher de se présenter aux élections législative et
présidentielles.
Réagir à des « sondages » peu crédibles et faits à
une date lointaine des élections était un geste un peu « susceptible »
et mal approprié car le « Tunisien » se décide en dernière minute.
Il ne reste pas moins que ces amendements ont été contestés
par le fait qu’ils interviennent avant échéance électorales et non conformes aux
« recommandations » internationales en la matière.
Mais personnellement, si je les conteste, c’est qu’ils sont
dangereux.
Des Amendements dangereux
Les élections Tunisiennes post-révolution 2011 ont donné
lieu soit par les élections 2011 ou par celles de 2014 à un type de démocratie
Tunisienne spécifique à l’expérience Tunisienne : une majorité
diversifiée.
Dans les 2 majorités, on trouvait un parti de tendance islamiste
(la Nahdha) ou conservatrice (Le CPR) et des partis modernistes ou de gauche
(Takattol en 2011, Nida et Afek en 2014).
C’est d’ailleurs cette diversité qui a joué un rôle
principal dans la pérennité de cette démocratie tunisienne
Hélas, les amendements apportés sont dangereux à un triple
niveau :
La faible position de l’ISIE
La position de l’ISIE quant aux amendements apportés est
plus que contestable
La 1ère mission de l’ISIE en tant qu’instance
constitutionnelle indépendante est selon l’art 125 de la Constitution : Le
Renforcement de la démocratie.
Mais malheureusement, les membres actuels de cette ISIE n’y
connaissent rien. Pour eux, la mission principale c’est le bon déroulement des
élections. Il y a tout une fossée entre les 2.
L’ISIE aurait dû éclairer les parlementaires sur tous les impacts
des amendements projetés, chose qu’elle ne l’a pas faite.
Le seuil électoral
Un seuil de 3% peut logiquement autoriser le parti Nahdha à
avoir non seulement une majorité absolue, mais encore une majorité de 3/5 et
même de 2/3 avec des alliances possibles.
La Nahdha pourrait avoir la possibilité de gouverner seule
contrairement aux élections de 2011 et de 2014.
Sommes-nous prêts à vivre cette expérience ?
J’en doute fort.
Le paradoxe dans cette affaire, c’est que ce cadeau a été
offert par les gagnants des élections 2014 qui ont bâti toute leur campagne
électorale autour d’un seul objectif : exclure la Nahdha du Pouvoir.
Ils ont gagné les élections en 2014 et ont fait tout-à-fait
le contraire en 2019 : permettre au parti Nahdha d’être seul au pouvoir.
Exclusion des rivaux et cartographie future probable :
L’élimination des rivaux potentiels va certainement aboutir
à des effets non attendus.
Ces rivaux ne sont pas démunis de moyens pour réagir à cette
exclusion. Ils ont les médias, l’argent, la sympathie populaire et surtout :
la défaillance de la loi électorale.
Pour les présidentielles, ils vont appuyer le candidat « hors
majorité ». Je pense par exemple, que si le Parti « El Badil »
présente un candidat, il aura de fortes chances de gagner.
Pour les législatives, on sera dans une configuration encore
plus poussée de celle des élections locales de 2018 avec une émergence des
listes indépendantes d’où une cartographie parlementaire plus disparate et
surtout plus indécise.
Bref, c’est une plongée dans une eau trouble très
dangereuse.
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